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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 35

Le mercredi 19 novembre 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mercredi 19 novembre 2025

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Table ronde de haut niveau sur la santé de la communauté noire

L’honorable Sharon Burey : Honorables sénateurs, je veux aujourd’hui attirer votre attention sur une importante activité qui aura lieu demain : la Table ronde de haut niveau sur la santé de la communauté noire, qui a pour thème : « Une vision nationale pour la santé des Noirs : Bâtir un avenir plus sain au cours de la prochaine décennie ».

Cette initiative est organisée par le Centre interdisciplinaire pour la santé des Noirs, que dirige le Dr Jude Mary Cénat en collaboration avec le Forum pour le dialogue Alex-Trebek et le Bureau de la recherche et de liaison en matière de politiques publiques de l’Université d’Ottawa :

Comme premier centre de recherche universitaire canadien totalement dédié à l’étude des déterminants biologiques, sociaux et culturels de la santé des communautés noires du Canada, le CISN constitue un espace de recherche et de formation de premier plan, basé sur l’excellence et l’interdisciplinarité, qui guidera les efforts des agences fédérales, provinciales, territoriales et municipales pour comprendre, réduire et éliminer les disparités raciales en santé [...] dans une perspective [...] de justice sociale.

Je félicite les organisateurs du leadership dont ils font preuve ainsi que de leur volonté de faire avancer l’équité et la parité en matière de santé.

[Français]

En poursuivant dans cette dynamique de leadership et de vision, la table ronde réunira un groupe large et diversifié de parties prenantes, y compris des sénateurs, des députés, des responsables provinciaux et territoriaux de la santé, des agences de santé publique et des leaders communautaires. Nous travaillerons ensemble pour définir les priorités nationales en matière de santé pour les communautés noires au cours des 10 prochaines années.

[Traduction]

Comme moment clé de l’événement, il y aura le lancement officiel de la Déclaration d’Ottawa sur la santé des personnes noires. Ce document fondamental est le résultat de consultations approfondies menées auprès de 900 organisations et intervenants communautaires. Il reflète un engagement commun à lutter contre les iniquités de longue date en matière de santé et à promouvoir l’équité dans des domaines comme la prévention des maladies chroniques et infectieuses, la santé mentale, la santé génésique et le financement de la recherche sur la santé de la communauté noire.

Chers collègues, tout au long de ma carrière, je me suis efforcée de promouvoir la santé mentale à tous les âges en accordant une attention particulière aux enfants et aux familles.

Je vous invite à soutenir cette importante initiative, car elle reflète notre engagement collectif à bâtir un avenir plus en santé et plus équitable pour les communautés noires partout au Canada, et même pour tous les Canadiens.

Lorsque nous nous libérons du joug des castes et des classes nous pouvons, nous, les Canadiens, ouvrir notre esprit et découvrir l’histoire du Canada sous toutes ces facettes, et ainsi comprendre en quoi consiste l’identité canadienne et ce que signifie donner véritablement libre cours au potentiel prometteur de notre grand pays.

Merci, meegwetch.

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, et visiteurs à la tribune, nous recevons des alertes. Ce sont des alertes de sécurité d’urgence pour tester le système. Je vous prierais d’éteindre complètement vos téléphones cellulaires pour éviter les interruptions. Merci.

[Français]

La Journée internationale de l’entrepreneuriat féminin

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénatrices et sénateurs, en cette Journée internationale de l’entrepreneuriat féminin, en tant que rapporteuse de la Commission des affaires économiques, sociales et environnementales de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, j’ai eu l’honneur d’organiser ce matin un webinaire consacré à l’entrepreneuriat des femmes pour leur autonomisation dans l’espace francophone. Nous y avons entendu des experts rappeler une vérité essentielle : l’entrepreneuriat est un moteur de croissance et les femmes y jouent un rôle déterminant.

Selon Statistique Canada, les femmes sont propriétaires majoritaires de près de 20 % des entreprises privées, elles emploient environ un million de personnes et elles génèrent plus de 90 milliards en revenus annuels. Elles représentent près de 40 % des travailleurs autonomes.

Dans l’ensemble de la Francophonie, les femmes s’impliquent de plus en plus dans l’entrepreneuriat, mais l’Afrique se démarque par un taux d’engagement entrepreneurial supérieur à celui que l’on observe dans les autres régions francophones. En Afrique subsaharienne, 27 % des femmes adultes sont engagées dans des activités entrepreneuriales; il s’agit du taux le plus élevé au monde.

Pourtant, que ce soit au Canada ou ailleurs dans la Francophonie, les obstacles demeurent, notamment l’accès au financement, l’accès aux marchés, le besoin de renforcement des compétences et l’absence de réseaux structurés.

[Traduction]

Honorables collègues, selon le rapport du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat, ou PCFE, du Diversity Institute, si on obtenait la parité économique et la pleine participation des femmes, cela pourrait ajouter jusqu’à 150 milliards de dollars au PIB du Canada.

Ces conclusions devraient nous pousser à agir, à investir dans l’entrepreneuriat féminin. Investir dans l’entrepreneuriat féminin n’est pas seulement une question d’égalité; c’est essentiel à la croissance économique.

[Français]

Investir dans l’entrepreneuriat féminin, c’est bâtir une croissance durable et partagée.

Je vous remercie.

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la Dre Yosra Abdulkarim AlMakadma. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Ataullahjan.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les robots conversationnels alimentés par l’intelligence artificielle

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai lu il y a deux semaines un article préoccupant publié par la BBC. Il relate le cas d’une mère qui a perdu son fils et qui affirme qu’un robot conversationnel alimenté par l’intelligence artificielle aurait encouragé le jeune homme à mettre fin à ses jours.

En tant que mère, je ne peux qu’imaginer la souffrance de cette femme. En tant que parlementaire, je sais qu’il est de mon devoir d’essayer d’empêcher de telles tragédies de se produire.

Il est préoccupant de constater que de nombreux cas ont été signalés où des robots conversationnels alimentés par l’intelligence artificielle ont incité des personnes souffrant de troubles mentaux à s’automutiler ou leur ont fourni des conseils préjudiciables. Cela s’est produit au Royaume-Uni, aux États-Unis, et même ici, au Canada.

Nous devons considérer cela comme un avertissement clair. La technologie évolue rapidement, et nos garanties juridiques et éthiques ne suivent pas le rythme.

Il y a plusieurs années, j’ai proposé une étude sur la cyberintimidation au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Cette étude nous a permis de démontrer les répercussions du harcèlement en ligne, des trolls et de la cyberintimidation sur la santé mentale des jeunes.

Ce travail était essentiel. L’étude nous a aidés à comprendre les mécanismes de la cyberviolence, y compris sa propagation parmi les internautes. Elle a servi de point de référence pour établir les premières règles sur la sécurité en ligne. Mais que se passe-t-il lorsque la cyberviolence provient d’un système qui n’a de comptes à rendre à personne, un système qui n’est soumis à aucune règle de sécurité claire?

(1410)

Chers collègues, nous sommes désormais dans une nouvelle ère. La cyberviolence peut être algorithmique, automatisée et amplifiée par l’intelligence artificielle. Les robots conversationnels peuvent interagir et s’incruster dans le paysage sans que le cerveau humain y soit toujours préparé. Ils peuvent être constants, persuasifs et personnalisés. Leur empathie simulée peut sembler indiscernable de la bienveillance réelle, et cette technologie se développe beaucoup trop rapidement pour nos cadres réglementaires actuels. Nous devons agir, et ce dès maintenant.

Il nous faut des règles modernes qui traitent les systèmes d’intelligence artificielle comme des environnements qui façonnent le comportement. Nous devons imposer aux entreprises l’obligation de détecter les risques de leurs systèmes d’intelligence artificielle au moyen de tests ainsi que l’obligation de les surveiller et de réagir rapidement en cas de problème.

Nous devons approfondir l’étude du phénomène en partant des travaux tels que l’étude du Comité des droits de la personne sur la cyberintimidation, afin de comprendre l’effet des interactions générées par l’intelligence artificielle sur les personnes vulnérables. Nous devons permettre aux parents, aux éducateurs et aux jeunes de se rendre compte que leur « ami » en ligne n’est qu’un logiciel avec des limites et des angles morts.

Le développement de l’intelligence artificielle ne ralentira pas, et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser cette avancée rendre inopérantes les mesures conçues pour protéger les personnes que nous servons. Il nous incombe de veiller à ce que les lois évoluent aussi vite — voire plus vite — que la technologie à laquelle nous avons affaire. Merci.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Martin Normand, président-directeur général, et Louka Morin-Tremblay, analyste et chercheur, de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Surette.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne

Le dixième anniversaire de sa fondation

L’honorable Allister W. Surette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner le 10e anniversaire de la fondation de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, ou ACUFC, et son importante contribution aux communautés francophones en situation minoritaire au Canada.

L’ACUFC regroupe 22 universités et collèges francophones et bilingues situés dans des communautés francophones en situation minoritaire. En tant qu’association représentant des établissements d’enseignement et de recherche, l’ACUFC est un acteur clé de l’enseignement postsecondaire au Canada qui joue un rôle structurant au sein des communautés francophones et acadiennes du Canada.

À une époque où le secteur de l’enseignement postsecondaire est confronté à des défis considérables, il est plus crucial que jamais de pouvoir compter sur des voix fortes, comme celle de l’ACUFC, pour représenter et défendre les intérêts des établissements universitaires et collégiaux francophones en situation minoritaire partout au pays.

Les établissements membres de l’ACUFC jouent un rôle déterminant dans le développement économique local de leurs régions. En formant une main-d’œuvre francophone qualifiée dans des domaines clés comme la santé, l’éducation, la justice, la technologie et les services communautaires, ils soutiennent directement la croissance des entreprises et l’innovation locale.

Leurs établissements favorisent également l’entrepreneuriat, la recherche appliquée et les partenariats avec les acteurs économiques, contribuant ainsi à la création d’emplois durables et à la rétention des jeunes dans leurs communautés.

Grâce à son leadership, à son expertise et à ses partenariats stratégiques, l’ACUFC contribue activement à la formation et à la recherche en langue française d’un océan à l’autre. Depuis sa création, l’ACUFC coordonne avec ses membres le Réseau national de formation en justice, le Consortium national de formation en santé et, depuis plusieurs années, le Comité de gestion national en petite enfance. Ces différents programmes contribuent à renforcer la vitalité des communautés francophones et acadiennes à travers le pays.

Depuis 2015, l’ACUFC s’engage en faveur de la francophonie, surmontant les défis et menant à bien des réalisations qui ont contribué à bâtir un réseau performant et respecté au sein même et au-delà de la francophonie canadienne. Je tiens donc à féliciter l’ACUFC, tous ses membres et son personnel pour ces 10 premières années de succès, et je leur souhaite encore de nombreuses décennies de succès et de réalisations.

Merci.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Sukhvinder Obhi, professeur au Département de psychologie, de neurosciences et du comportement de l’Université McMaster. Il est l’invité de l’honorable sénateur Dhillon.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du Chef Dale Steinhauer, du conseiller Kenton Cardinal et de l’Aîné Eric John Large, de la Nation crie de Saddle Lake, en Alberta. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Greenwood.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de l’honorable Landon Pearson, O.C.

L’honorable Margo Greenwood : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par rappeler que nous sommes sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin anishinabe, que je remercie de me permettre d’être ici.

J’aimerais également souhaiter un très joyeux 80e anniversaire de naissance à l’Aîné Eric Large.

Aujourd’hui, j’aimerais rendre hommage à une amie et à une collègue, la regrettée ex-sénatrice Landon Pearson. Surnommée affectueusement « la sénatrice des enfants » du Canada, elle aurait eu 95 ans dimanche dernier. Je ne peux songer à une meilleure journée que la Journée nationale de l’enfance pour rendre hommage à la sénatrice Landon et à son travail — même si officiellement, cette journée a lieu demain et que mes hommages arrivent une journée trop tôt.

La journée de demain sera l’occasion d’honorer les enfants en soulignant leur droit de vivre heureux et en sécurité, de demeurer libres et en bonne santé ainsi que de réaliser pleinement leur potentiel.

Landon Pearson a consacré plus de soixante ans à défendre les causes qui lui étaient chères et elle a changé une quantité innombrable de vies. Elle a notamment cofondé Children Learning for Living, un programme de santé mentale novateur destiné aux enfants d’âge scolaire qui a fonctionné pendant 23 ans dans la région d’Ottawa.

Landon a participé à la rédaction de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, en 1989, et elle a aussi directement mis la main à la pâte quand le temps est venu pour le Canada de donner suite à cette convention.

J’ai rencontré Landon au début des années 1990. Je prenais part avec elle aux consultations sur le Plan national d’action pour les enfants, et c’est le résultat de ces consultations qui a guidé son travail lors de la session extraordinaire que l’ONU a consacrée aux enfants, en 2002.

C’est également grâce aux encouragements et à l’aide de Landon que j’ai rédigé l’Observation générale n° 11, qui portait sur l’interprétation de l’application de la convention dans le cas particulier des enfants autochtones.

Landon a siégé au Sénat de 1994 à 2005, où elle s’est battue pour chaque projet de loi qui pouvait améliorer le sort des enfants et des adolescents.

Après avoir quitté le Sénat, elle a fondé le Landon Pearson Resource Centre for the Study of Childhood and Children’s Rights à l’Université Carleton. Depuis son ouverture en 2006, ce centre est le seul au Canada à se consacrer exclusivement aux droits des enfants. Il œuvre à la sensibilisation et à la compréhension de la convention des Nations unies, afin que les droits de participation des enfants soient honorés, respectés et défendus.

Après sa vie au service du public, Landon nous a légué ses réalisations. Le travail qu’elle a accompli continue d’avoir des retombées bénéfiques pour d’innombrables enfants dans le monde et influence encore aujourd’hui les sénateurs dans cette chambre.

À l’approche de la Journée nationale de l’enfant qui aura lieu demain, je tiens à rendre hommage aux nombreux sénateurs présents dans cette salle qui défendent particulièrement la cause des enfants, leurs droits et leur bien-être. Je tiens aussi à rendre hommage à tous les sénateurs pour leur contribution au bien-être des enfants en tant que mères, pères, grands-parents, frères, sœurs, tantes et oncles. Je vous remercie.

Hiy hiy.

(1420)

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du professeur Deep Saini, recteur et vice-chancelier, ainsi que de Jean-Félix Lévesque, directeur principal, Relations gouvernementales et institutionnelles, de l’Université McGill. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Moreau.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

L’ajournement

Préavis de motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 25 novembre 2025, à 14 heures.

L’Association parlementaire du Commonwealth

La réunion du Comité exécutif, tenue les 12 et 13 mai 2025—Dépôt du rapport

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant la réunion du Comité exécutif, tenue à Londres, au Royaume-Uni, les 12 et 13 mai 2025.

Le colloque postélectoral de l’Assemblée nationale de Belize, tenu du 4 au 6 juin 2025—Dépôt du rapport

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant le colloque postélectoral de l’Assemblée nationale de Belize, tenu à Belmopan, au Belize, du 4 au 6 juin 2025.

La Conférence parlementaire du Commonwealth, tenue du 5 au 12 octobre 2025—Dépôt du rapport

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant la 68e Conférence parlementaire du Commonwealth, tenue à Bridgetown, à la Barbade, du 5 au 12 octobre 2025.

[Français]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est presque 14 h 30. On m’a signalé que le ministre Fraser est actuellement à l’extérieur de la Chambre. Seriez-vous d’accord pour qu’on l’invite à se joindre à nous pour commencer la période des questions dès maintenant, plutôt que d’interrompre les débats et de revenir à la période des questions ensuite?

Des voix : D’accord.

[Traduction]

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je pense que notre leader est probablement le premier intervenant. Il vient de quitter la Chambre, alors pourrions-nous commencer un peu plus tard?

Son Honneur la Présidente : Et si nous faisions une pause jusqu’à ce que le leader de l’opposition soit parmi nous afin de pouvoir lui demander de poser la première question? Si la permission est accordée, arrêtons-nous un instant. Il sera probablement 14 h 30 au retour de la pause, et nous pourrons commencer à l’heure prévue. Merci.

Des voix : D’accord.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, avant de procéder à la période des questions avec le ministre, je tiens à vous rappeler les durées fixées par le Sénat pour les questions et les réponses, conformément à l’ordre du 4 juin 2025.

Lorsque le Sénat reçoit un ministre pour la période des questions, comme c’est le cas aujourd’hui, la durée de la question principale est limitée à une minute et celle de la réponse à une minute 30 secondes. La question supplémentaire et la réponse sont limitées à 45 secondes chacune. Dans tous ces cas, le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’échéance de ces délais.

Je demande maintenant au ministre d’entrer et de prendre sa place.


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 4 juin 2025, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd’hui l’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, pour la période des questions, afin qu’il réponde à des questions concernant ses compétences ministérielles.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue.

Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué au Sénat, la durée pour une question principale est limitée à une minute, et la durée de votre réponse est limitée à une minute 30 secondes. Pour la question supplémentaire, la durée de la question et de la réponse est limitée à 45 secondes chacune. Le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’échéance de ces délais. La période des questions sera d’une durée de 64 minutes.

[Traduction]

Le ministère de la Justice

La prévention de la criminalité

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, bienvenue au Sénat.

Plus tôt cette semaine, les Canadiens ont été stupéfaits d’apprendre que, dans la région du Grand Toronto, la police avait entrepris une opération visant à perturber les activités d’un duo responsable des vols de tombes et de mausolées. La police a recensé plus de 300 vols à ce jour, y compris des bijoux contenant des restes humains.

Monsieur le ministre, il est inimaginable que, après une décennie de gouvernements libéraux, le Canada ait atteint un point où même les morts ne sont pas à l’abri des activités criminelles. Les familles qui pleurent déjà leurs pertes doivent maintenant craindre la profanation des lieux de repos de leurs proches. C’est vraiment bouleversant. Monsieur le ministre, appelons cette affaire par son nom : un échec total de la sécurité publique et du système de justice pénale.

Pourquoi le gouvernement ne prend-il pas la sécurité des Canadiens au sérieux et ne prend-il pas enfin des mesures afin de lutter contre la crise de la criminalité qui sévit d’un bout à l’autre du pays?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie sincèrement de votre question, monsieur le sénateur. Je vous remercie tous aussi de m’avoir cordialement invité à participer à cette importante conversation avec vous aujourd’hui.

La sécurité publique est évidemment une priorité urgente pour le gouvernement du Canada. Bien franchement, c’est aussi une priorité urgente pour les Canadiens de toutes les régions du pays. La situation que vous avez décrite constitue clairement un exemple odieux de comportement criminel qui doit être sanctionné au moyen de peines sévères, mais, idéalement, au moyen de mesures préventives qui empêchent les crimes d’être commis.

La stratégie que nous mettons en œuvre repose sur plusieurs piliers. Le premier consiste à renforcer les lois pour que les auteurs de crimes graves soient passibles de peines sévères. Monsieur le sénateur, le deuxième pilier consiste à fournir des ressources adéquates aux intervenants de première ligne. Pour notre part, nous estimons que l’embauche de 1 000 nouveaux agents de la GRC et 1 000 nouveaux agents frontaliers contribuera à grandement améliorer la situation.

Enfin, nous devons investir en amont, que ce soit dans les services de santé mentale et de toxicomanie ou dans les logements abordables et supervisés, qui sont des programmes importants destinés aux jeunes à risque et visant à empêcher les gens de sombrer dans la criminalité.

Ce ne sont pas des solutions faciles, mais je suis profondément convaincu que, si nous donnons aux forces de l’ordre les outils dont elles ont besoin pour faire leur travail et si nous collaborons avec tous les ordres de gouvernement et tous les partis politiques, nous pourrons mener des réformes importantes qui permettront non seulement de punir les auteurs de ce genre d’actes odieux, mais aussi de prévenir la criminalité.

Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, quand les criminels sont tellement sûrs d’eux qu’ils profanent des tombes des centaines de fois sans craindre les conséquences, cela nous dit tout ce que nous devons savoir sur la situation de la loi et de l’ordre sous le gouvernement actuel. Voilà le résultat d’une décennie de peines moins sévères, de laxisme dans l’application de la loi et de justice fondée sur l’arrestation et la remise en liberté.

(1430)

Monsieur le ministre, vous devez admettre que votre approche au cours de la dernière décennie ne fonctionne pas. Nous devons nous engager à rétablir des conséquences réelles pour les crimes et les criminels avant que les Canadiens ne perdent toute confiance dans notre système de justice.

M. Fraser : Sénateur, vous serez peut-être surpris de constater que nous sommes d’accord sur un certain nombre de points : nous estimons que lorsque des crimes graves sont commis, les auteurs de ces crimes doivent être punis sévèrement. Il ne s’agit pas seulement de paroles de ma part, mais aussi d’actions concrètes, y compris la présentation du projet de loi C-14, qui prévoit des mesures de mise en liberté sous caution plus strictes pour les récidivistes violents, des peines plus sévères pour les auteurs de crimes graves, ainsi que des circonstances aggravantes pour les personnes qui commettent des actes susceptibles de nuire à l’ensemble d’une collectivité.

Je conviens tout à fait que des peines sévères peuvent avoir un effet dissuasif et contribuer à prévenir la criminalité à l’avenir. Cependant, ce n’est qu’une partie de l’équation. Nous devons veiller à ce que les travailleurs en première ligne bénéficient d’un soutien adéquat et nous devons réaliser les investissements nécessaires en amont si nous voulons apporter des changements non seulement au cours des deux prochaines années — même si nous constatons une baisse des taux de criminalité depuis un an —, mais aussi résoudre ce type de problèmes d’ici la prochaine génération.

[Français]

Le Québec—Le projet de loi no 21

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, dans une réponse à une question inscrite au Feuilleton de l’autre endroit, on apprenait que votre gouvernement avait dépensé, en date du 7 novembre 2025, près de 2 millions de dollars pour intervenir devant la Cour suprême dans la contestation judiciaire du projet de loi no 21. Je parle bien de 2 millions de dollars de fonds publics investis pour contester un projet de loi adopté démocratiquement par l’Assemblée nationale du Québec.

Monsieur le ministre, j’ai personnellement pris connaissance du mémoire d’intervention. L’argumentaire est contenu dans ce mémoire qui compte 24 pages. Plusieurs pages citent des principes bien connus. Cette somme équivaut à 83 000 $ par page, 2 200 $ par ligne et 181 $ par mot. Monsieur le ministre, en étudiant le mémoire du gouvernement et en regardant la facture d’avocats, il me semble évident que contester une loi québécoise n’a pas de prix pour votre gouvernement. Avez-vous l’intention de contester cette facture devant les tribunaux?

[Traduction]

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Sauf votre respect, sénateur, on ne peut pas quantifier l’importance d’une idée selon le nombre de mots qui figurent dans un mémoire.

[Français]

Nous parlons d’enjeux qui sont fort importants pour protéger l’intérêt national, les droits des Canadiens et la Constitution. Cette somme inclut les dépenses engagées pour les employés qui travaillent pour mon ministère. Si nous avons l’occasion de défendre la Charte et la Constitution, il n’est pas seulement possible, mais essentiel pour le gouvernement fédéral de faire une intervention. Une personne raisonnable ne peut imaginer que le gouvernement fédéral n’a pas son mot à dire dans cette conversation fort importante.

La nomination des juges

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, Robert Leckey a été inscrit au Barreau du Québec pendant sept ans seulement. Pourtant, la Loi sur les juges exige un minimum de 10 ans au sein du barreau d’une province avant la nomination d’un juge. De plus, par pur hasard, le juge Leckey a milité contre les projets de loi nos 21 et 96 du gouvernement du Québec; il a aussi été un donateur prolifique du Parti libéral du Canada. Monsieur le ministre, le fait de se battre contre le projet de loi no 21 n’a pas de prix à vos yeux, mais en plus, cela donne la chance d’être nommé juge illégalement. Allez-vous suspendre le juge en attendant la décision judiciaire ayant trait à la validité de sa nomination?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je ne veux pas faire de commentaires sur la qualité des juges après leur nomination. Dans ce cas, je suis au courant des défis, mais en même temps, ce n’est pas à moi de mettre en doute l’indépendance et la partialité des juges après leur nomination.

[Traduction]

Pour moi, il est extrêmement important de protéger l’indépendance des juges et le respect qu’ils inspirent au sein de l’appareil juridique. L’administration de la justice repose précisément sur le principe du respect de leur indépendance. Je ne crois donc pas qu’il serait convenable que je me prononce pour ou contre.

Les groupes haineux

L’honorable Paula Simons : Merci, monsieur le ministre. Ma question porte sur le projet de loi C-9, Loi visant à lutter contre la haine. Ce texte érige en infraction criminelle le fait d’exposer un symbole principalement utilisé par une entité inscrite. Il peut par exemple s’agir du gang Bishnoi ou de Tren de Aragua, c’est-à-dire des organisations généralement associées au crime organisé, mais aussi de groupes politiques extrémistes comme le Parti des travailleurs du Kurdistan ou le Sentier lumineux.

Pourtant, certains groupes haineux bien connus, comme le Ku Klux Klan, sont absents de la liste, ce qui voudrait dire que le fait d’exhiber une croix en flammes ou un nœud coulant ne serait pas condamné par le projet de loi C-9. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi votre ministère a décidé d’utiliser la liste des entités inscrites comme référence pour les groupes haineux?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci de votre question, sénatrice.

J’aimerais préciser une chose avant de revenir aux groupes dont vous parlez. Nous n’avons pas simplement érigé en infraction criminelle le fait d’exposer certains symboles, mais bien le fait de promouvoir sciemment la haine en exposant ces symboles. Il va sans dire que, si une personne fait sciemment la promotion de la haine aujourd’hui, que ce soit ou pas au moyen de ces symboles, il pourrait y avoir une certaine responsabilité criminelle associée à ses gestes, par exemple s’ils correspondent aux définitions actuelles du Code criminel.

Votre question porte sur le choix des symboles inscrits sur la liste qui mène à cette accusation supplémentaire, et elle est à la fois intéressante et importante. J’ai hâte de soumettre ce texte aux délibérations des différents comités parlementaires, que ce soit à la Chambre des communes ou au Sénat, car il pourrait en sortir amélioré.

Nous avons choisi de limiter la liste des entités inscrites à celles qui correspondent à une série de critères objectifs — c’est-à-dire à celles qui sont déjà considérées comme des entités terroristes au titre du Code criminel — parce que nous voulions éviter de la soumettre aux caprices politiques du gouvernement du jour et l’ancrer plutôt dans une série de normes préétablies, lesquelles pourront évoluer en fonction des décisions prises par les responsables de la sécurité nationale.

Si les décisions prises évoluent et que la définition établie finit par englober de nouvelles organisations, on s’attend évidemment à ce que ces symboles soient automatiquement incorporés par renvoi. Je n’entends pas être rigide à ce propos. Ce matin, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les membres du groupe de direction de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, qui ont soulevé des questions du même ordre. Si les parlementaires décident qu’il y a une meilleure voie à suivre, sachez que je serai très ouvert aux recommandations.

La sénatrice Simons : Une question s’impose toutefois : si on va chercher une liste qui a été créée dans une optique complètement différente pour l’appliquer à cette mesure législative, il y aura nécessairement des problèmes, à savoir que certains éléments de la liste ne seront pas des groupes haineux et que d’autres groupes véritablement haineux ne répondront jamais aux critères définis pour cette liste.

Dans la mesure où le mécanisme prévu dans le projet de loi ne semble pas adapté au but visé, quelle serait la solution, selon vous?

M. Fraser : Je vous remercie. J’invite de nouveau les parlementaires des deux Chambres à nous faire part de leurs observations sous forme d’amendements afin que ce texte puisse être amélioré.

Vous comprenez qu’à partir du moment où vous tentez de cerner une notion aussi complexe que la haine, il n’y a aucune définition parfaite, c’est-à-dire qui réussirait à satisfaire tout le monde. En ce qui nous concerne, nous avons tâché d’atteindre un certain niveau d’objectivité afin d’éviter que ces dispositions ne deviennent un outil politique qu’un futur gouvernement — que ce soit dans 10, 20 ou 50 ans — pourrait utiliser d’une manière qui ne correspond pas nécessairement aux résultats que nous souhaitons atteindre aujourd’hui.

Nous avons jugé que nous pouvions difficilement nous tromper en commençant par les entités terroristes désignées — et je pense particulièrement au Parti nazi —, mais s’il y a d’autres définitions qui réussiraient à mieux circonscrire les groupes qui font concrètement la promotion de la haine, je serais tout à fait intéressé à connaître l’opinion du Sénat.

[Français]

La protection des victimes d’agression sexuelle

L’honorable Manuelle Oudar : Bonjour, monsieur le ministre. Je vous remercie du travail que vous faites au sein de votre ministère.

Je veux attirer votre attention sur une réalité particulièrement préoccupante qui touche les victimes d’agression sexuelle.

Au Canada, le parcours des victimes d’agression sexuelle dans le système judiciaire est semé d’embûches. Selon Statistique Canada, seulement 6 % des victimes font un signalement à la police. Parmi ces signalements, l’attrition est importante à chaque étape : 36 % seulement de ces signalements ont mené à des accusations, et une partie de ces accusations ont débouché sur une condamnation. Ces chiffres ne sont pas anodins. Ils signifient que le système de justice ne traduit en responsabilité qu’une très faible partie des violences sexuelles dont sont victimes des milliers de personnes, particulièrement des femmes. Cela signifie aussi qu’il faut changer les choses pour que plus de victimes osent porter plainte. Cela signifie enfin qu’il faut restaurer la confiance dans le système de justice.

Monsieur le ministre, face à ces chiffres alarmants et aux critiques de certains experts —

Son Honneur la Présidente : Merci, sénatrice Oudar.

(1440)

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je pense comprendre le sens de la question et j’espère que vous aurez la chance de finir de la poser plus tard.

C’est un enjeu très important et le gouvernement a besoin de se pencher sur ce problème. Je vais déposer un nouveau projet de loi cette année pour aborder la réalité de la violence contre les femmes, y compris le processus suivi par les cours qui s’occupent des crimes comme les agressions sexuelles.

[Traduction]

Les mesures législatives que nous allons présenter vont s’attaquer de façon plus générale à la violence fondée sur le sexe, mais comprennent des changements apportés au déroulement des procès. J’ai pu me rendre compte de l’ampleur du problème au début de ma carrière parlementaire lorsque j’ai été membre, pendant quelques années, du Comité de la condition féminine et que nous nous sommes vraiment intéressés aux problèmes que connaissent les femmes qui subissent de la violence et aux difficultés qu’elles doivent surmonter pour dénoncer ce qu’elles ont vécu. Il s’agira d’une approche globale qui s’étendra à la société tout entière, de l’éducation des garçons, des hommes et des policiers jusqu’aux mesures tenant compte des traumatismes dans les tribunaux.

Il faudra aussi changer les façons de faire pour que l’ensemble des démarches judiciaires ne soient plus aussi difficiles. En plus de ces défis, nous devons nous attaquer aux délais, car il arrive encore que certaines personnes qui souhaitent mener leur cause à terme voient plutôt celle-ci se conclure par un arrêt des procédures au lieu d’un verdict, non pas parce qu’elles ont surmonté les accusations qui pesaient contre elles, mais parce que le temps était écoulé.

Nous avons l’intention aborder bon nombre de ces questions dans une mesure législative, laquelle devrait être présentée d’ici quelques semaines.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci beaucoup de votre réponse éclairante, monsieur le ministre. Dans cette réforme que vous êtes en train de mettre en place, comptez-vous faire des modifications en consultant les victimes ainsi que les groupes communautaires?

[Traduction]

M. Fraser : Oui, les consultations sont en cours, et je participe même personnellement à certaines tables rondes avec les personnes et les organismes qui défendent les droits des victimes. Sinon, ce sont mes collaborateurs du ministère qui y prennent part, afin d’atteindre le plus de gens possible. J’ai pour principe que les lois qui sont rédigées derrière des portes closes sur la Colline du Parlement ne répondent jamais vraiment aux préoccupations de ceux qui comptent sur les systèmes que nous tâchons de bâtir. Si, en démocratie, nous tenons compte de la voix de ceux qui sont les plus touchés par les décisions que nous prenons, alors nous prenons de meilleures décisions.

Dans la mesure où vous, les autres parlementaires ou les Canadiens en général souhaitez prendre part au processus, sachez que nous sommes fermement convaincus que c’est en intégrant le point de vue des survivants de violence sexuelle que nous pourrons mieux les protéger.

Le Mi’kmaw Legal Support Network

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Bienvenue, monsieur le ministre. Étant donné que vous êtes originaire de Nouvelle-Écosse et que vous occupez le poste de ministre de la Justice, je crois que vous connaissez peut-être le travail du Mi’kmaw Legal Support Network, ou MLSN, qui fournit des services juridiques et un soutien aux Mi’kmaqs ayant affaire au système de justice. Il s’agit d’un service essentiel compte tenu de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice. La capacité du réseau à offrir un soutien adapté à la culture dans la langue mi’kmaq a été un atout inestimable pour les utilisateurs de ses services.

Les évaluations successives réalisées par le MLSN ont toutes révélé le besoin criant d’un financement de base durable. Cela demeure un problème pressant.

Monsieur le ministre, étant donné que la responsabilité fiduciaire à l’égard des Premières Nations relève de la compétence fédérale, le gouvernement s’engagera-t-il à assurer le financement stable et à long terme de ce service essentiel?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie, sénateur, car il s’agit d’une question importante.

Je connais l’organisme dont vous parlez. Vous vous doutez bien que je n’ai pas d’annonce de financement à faire aujourd’hui, sur le parquet du Sénat.

Philosophiquement, nous devons comprendre que, sans systèmes et sans personne à l’intérieur de ces système, les règles écrites ne vaudraient même pas le papier sur lequel les lois sont écrites.

Nous devons définir la manière d’affecter les ressources afin que la voix des personnes qui ont trop souvent été mises de côté et qui n’ont pas été adéquatement prise en compte dans le processus actuel, soit enfin représentée et qu’elle soit entendue par les responsables des systèmes qui sont censés être là pour les servir et qui, trop souvent, nuisent à leurs intérêts.

Dans la mesure où il pourrait y avoir des occasions uniques de collaborer avec l’organisme dont vous parlez, ou avec d’autres, sachez que nous accueillons avec plaisir les suggestions sur la manière dont les ressources publiques, à l’intérieur d’un cadre bien défini, peuvent être affectées de manière à en tirer le maximum. Je serais ravi de poursuivre cette conversation dans un autre contexte, peut-être quand nous serons tous les deux de retour en Nouvelle-Écosse.

La justice réparatrice

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Monsieur le ministre, étant donné que votre gouvernement a réduit les objectifs de dépenses pour Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones, dans le but de faire la preuve de l’engagement de votre gouvernement envers la réconciliation, votre ministère accordera-t-il également la priorité à la réconciliation en finançant des programmes de justice réparatrice axés sur la réadaptation et la réinsertion des délinquants autochtones?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci. Outre les programmes susceptibles de financer les activités des groupes qui défendent cette cause, nous avons la possibilité d’ajuster les mesures législatives de façon à mieux répondre aux besoins de la justice réparatrice. Nous examinons actuellement certaines propositions qui pourraient être incluses dans les prochains projets de loi sur la justice réparatrice.

À mon avis, le chemin vers la réconciliation exigera plus que des réformes législatives ponctuelles et des décisions de financement ponctuelles. Heureusement, nous bénéficions grandement de l’aide du Conseil consultatif autochtone et d’autres tables tripartites qui nous aident à mettre en œuvre la Stratégie en matière de justice autochtone et, plus largement, la déclaration des Nations unies. Je n’ai plus de temps, mais cette conversation mérite plus que les 45 secondes qui nous étaient allouées.

[Français]

Le contenu préjudiciable en ligne

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Monsieur le ministre, le Canada n’a toujours pas de loi pour protéger les enfants des préjudices en ligne, à cause de la lenteur des gouvernements à agir depuis cinq ans. Pourtant, les menaces se multiplient. Les mineurs fréquentent les applications de rencontres, qu’on appelle en anglais les dating apps, et tombent dans les griffes de pédophiles. Les enfants ont également accès aux robots conversationnels pornographiques créés par l’intelligence artificielle. Quand imposera-t-on des barrières? À quand l’estimation de l’âge obligatoire pour protéger les enfants canadiens?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie pour la question. J’ai fait référence à un projet de loi que je vais déposer dans quelques semaines. Il inclut des mesures en vue de protéger les enfants contre le contenu préjudiciable en ligne dans le système criminel.

[Traduction]

En plus d’envisager des réformes pénales concernant l’exploitation en ligne et le leurre d’enfants au moyen de technologies qui évoluent rapidement et constamment, le gouvernement envisage d’autres réformes.

En ce qui a trait à la réglementation des plateformes, par exemple, ces réformes sont dirigées par certains de mes collègues, et je ne voudrais pas parler en leur nom. Cela dit, le ministre de l’Identité et de la Culture ainsi que le ministre de l’Intelligence artificielle participent actuellement au dialogue pour comprendre comment entreprendre ces réformes.

Ces réformes viendront complémenter nos réformes pénales dans le but que nous avons tous de protéger nos enfants lorsqu’ils évoluent dans un environnement en ligne qui est en constante évolution. Étant parent de jeunes enfants qui sont de plus en plus exposés aux technologies, je considère qu’il s’agit d’une préoccupation urgente non seulement pour le pays, mais également au sein de mon propre ménage.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux vous entendre sur le fond, car il y a urgence d’agir, particulièrement avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, comme vous l’avez dit. Au Québec, une mère révélait récemment que son fils adolescent utilisait des robots conversationnels pour créer des scénarios de viol à glacer le sang où il était l’agresseur. Des enfants sont devenus dépendants de robots compagnons qui encouragent l’automutilation, le suicide et la violence. Est-ce le genre de société que vous souhaitez, vous qui avez dit être le père de jeunes enfants?

[Traduction]

M. Fraser : Évidemment que non. Aucun Canadien, quelle que soit son affiliation politique, qu’il soit député, sénateur ou simplement un être humain sain d’esprit, ne souhaite ce genre de société.

L’important est de déterminer quelles solutions sont à notre disposition et comment nous pouvons les appliquer d’une manière qui pourra s’adapter aux technologies, qui évoluent plus rapidement que les gouvernements ne peuvent typiquement intervenir.

Ce dialogue pose de nombreux défis. Certaines solutions s’offrent à nous pour tenir l’auteur de l’activité criminelle responsable de ses actes, mais encore faut-il pouvoir l’identifier. D’autres solutions nous obligeraient à trouver un moyen d’assujettir les plateformes auxquelles les Canadiens ont accès à un cadre réglementaire conçu pour protéger les enfants et empêcher les plateformes de les exploiter.

L’usage d’une force raisonnable

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le ministre, après 10 ans de gouvernement libéral, la plupart des Canadiens ne se sentent plus en sécurité dans leur propre quartier. Il n’est donc pas surprenant qu’un récent sondage révèle que 87 % des Canadiens estiment qu’ils devraient avoir le droit de se défendre et de défendre leur famille en faisant usage d’une force raisonnable contre un intrus.

Après l’affaire de l’introduction par effraction dans un domicile à Lindsay, en Ontario, en août dernier, où un propriétaire a été inculpé pour avoir défendu son foyer, les Canadiens sont maintenant plus perplexes et inquiets. Ils se demandent si la loi les protégera ou les punira quand leur sécurité est en jeu.

(1450)

Monsieur le ministre, si le gouvernement n’est pas en mesure d’assurer la sécurité des Canadiens en empêchant les délinquants à haut risque de circuler librement dans les rues, allez-vous au moins fournir la clarté juridique nécessaire pour que les Canadiens puissent exercer leur droit fondamental à la légitime défense de manière à protéger véritablement leur foyer et leur famille?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci. C’est une question importante. Vous avez correctement décrit le critère juridique approprié dans votre question.

Je vais être clair : les Canadiens ont actuellement la possibilité de se défendre chez eux en recourant à une force raisonnable. Certains de ces cas, lorsqu’ils sont rendus publics par les médias, suscitent des débats laissant entendre qu’aucune disposition de ce type n’existe aujourd’hui.

La loi actuellement en vigueur a été adoptée par un précédent gouvernement conservateur. Bien que je sois libéral, je pense que c’était la chose à faire. Nous devons veiller à ce que les lois permettent aux gens de se protéger chez eux, mais nous devons également mettre en place des systèmes garantissant la responsabilité publique de protéger plus largement les Canadiens dans leur collectivité.

Il faudra certaines des réformes que nous présentons actuellement au Parlement dans le cadre du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et la Loi sur la défense nationale (mise en liberté sous caution et détermination de la peine), et du projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse, crime haineux et accès à des lieux religieux ou culturels). Il faudra aussi des ressources supplémentaires provenant d’un autre ordre de gouvernement en première ligne de l’application de la loi, sans oublier des investissements en amont.

Cela dit, pour revenir à votre question, je répète, afin d’être bien clair, que les Canadiens ont le droit d’utiliser une force raisonnable pour se défendre et défendre les autres dans leur domicile, s’ils sont attaqués.

La sénatrice Martin : Pourtant, monsieur le ministre, les Canadiens ont vu un propriétaire faire tout ce qu’il pouvait pour se protéger face à un intrus armé, mais c’est lui qui a fini par être poursuivi en justice. Cela envoie un message effrayant à tous les citoyens respectueux des lois au pays.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous à revoir les dispositions du Code criminel relatives à la légitime défense afin de garantir que les Canadiens qui défendent leur famille ne soient pas traités comme des criminels alors que les vrais criminels restent en liberté?

M. Fraser : Sans commenter les détails de cette affaire, je pense qu’il est important que nous fassions confiance à la police pour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances où cela est approprié.

Même si nous reconnaissons que la loi comprend déjà les éléments que vous réclamez — l’usage raisonnable de la force est permis —, en plus de confirmer que cette loi existe et que nous n’avons pas l’intention de la modifier d’un iota, nous devons proposer des dispositions supplémentaires pour protéger les gens contre les introductions par effraction, en particulier au moyen du projet de loi C-14. Tant en matière de détermination de la peine que de réforme de la mise en liberté sous caution, nous allons instaurer des peines plus sévères et des conditions de mise en liberté sous caution plus strictes pour les personnes accusées d’introduction par effraction avec violence, mais, bien sûr, il faut des peines plus sévères pour celles qui commettent des introductions par effraction avec violence.

C’est un domaine complexe, mais, pour être clair, la loi prévoit exactement les moyens de recours que vous réclamiez dans votre question : l’usage d’une force raisonnable pour se défendre chez soi.

L’analyse comparative entre les sexes

L’honorable Denise Batters : Monsieur le ministre, au cours de la campagne électorale, en avril, le gouvernement libéral a promis que « chaque mesure de cette plateforme [serait] mise en œuvre avec une analyse comparative entre les sexes + complète ».

Avant que Mark Carney devienne premier ministre, les lettres de mandat des ministres mentionnaient plus d’une centaine de fois l’analyse comparative entre les sexes plus. Maintenant, la lettre de mandat universelle que le premier ministre a adressée à l’ensemble des ministres en fait complètement abstraction.

Lorsqu’un projet de loi du gouvernement était présenté au Parlement, une analyse comparative entre les sexes plus était habituellement disponible en ligne. Maintenant, on n’en trouve aucune, pas même à l’égard du projet de loi que vous parrainez, le projet de loi C-9. L’ancien gouvernement Trudeau prétendait être féministe et faisait semblant de se soucier du droit des femmes à l’égalité. Ce gouvernement, dont vous étiez un membre important, était tristement reconnu pour rompre ses promesses.

Le soi-disant nouveau gouvernement perpétue-t-il simplement cette belle tradition libérale?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Personne ne sera surpris d’apprendre que ce n’est pas ainsi que je vois le rôle de l’analyse comparative entre les sexes ni toute l’importance que nous accordons à la perspective féministe quand nous adoptons diverses politiques.

Nous continuons à mener des analyses comparatives entre les sexes pour comprendre les répercussions particulières des décisions que nous prenons en tant que gouvernement sur les femmes, et les femmes de différents horizons, pour nous assurer que nous tenons compte des motifs intersectionnels de discrimination.

Nous avons également pris la décision de rétablir le financement pour les femmes et l’égalité des genres afin de continuer non seulement à tenir compte des répercussions lors de l’élaboration des lois, mais aussi à soutenir les organismes qui sont en première ligne pour promouvoir les droits des femmes dans les collectivités.

Nous pouvons être en désaccord sur le succès ou l’échec de ces politiques, mais soyez assurée qu’elles sont toujours présentes dans les discussions politiques que nous avons quand nous décidons des lois à adopter au Canada.

La sénatrice Batters : Donc, l’analyse comparative entre les sexes est désormais secrète.

Monsieur le ministre, au cours des 10 dernières années, le gouvernement a affirmé que l’analyse comparative entre les sexes plus était un outil essentiel pour évaluer les lois, et vous avez promis de mener cette analyse, mais aujourd’hui, les parlementaires et les Canadiens n’ont accès à aucun renseignement public à ce sujet. Dans de nombreux domaines, le gouvernement Carney est encore moins transparent que ne l’était le gouvernement Trudeau.

Gardez-vous secrète votre analyse comparative entre les sexes plus parce qu’elle ne révèle rien de favorable à propos des lois présentées par le gouvernement?

M. Fraser : Non. Je ne pense pas que la violence contre les femmes ou les considérations liées à l’égalité des sexes devraient se prêter à un exercice partisan. Si c’est ce que vous souhaitez, je peux vous signaler que le Parti conservateur du Canada a voté contre le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe.

Je préfèrerais discuter des décisions que nous allons réellement prendre pour faire progresser les droits des femmes et le bien-être des Canadiens. Nous voulons continuer à comprendre les répercussions que les mesures législatives auront sur des personnes issues de différents milieux et ayant des expériences de vie différentes. C’est pourquoi l’analyse comparative entre les sexes reste un outil important qui sert à renforcer les effets des lois du pays.

[Français]

La décriminalisation de la non-divulgation de la séropositivité

L’honorable René Cormier : Bonjour, monsieur le ministre. Bienvenue au Sénat du Canada.

Au cours de la 44e législature, nous avons lancé dans cette Chambre une interpellation portant sur le VIH et les maladies transmissibles sexuellement et par le sang. Grâce à l’expertise de plusieurs de mes collègues, cette interpellation a mené à une publication contenant 34 recommandations stratégiques, dont une sur la décriminalisation de la non-divulgation de la séropositivité.

Au-delà des consultations que votre gouvernement a menées en 2022-2023, et alors que la Journée mondiale de lutte contre le sida approche à grands pas, comment votre gouvernement entend-il donner suite à cette recommandation, et surtout, avez-vous réellement l’intention d’agir pour réformer la criminalisation de la non-divulgation du VIH?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci pour la question.

[Traduction]

Pour y répondre, il faudrait en discuter plus en détail. Plusieurs de mes collègues participent à cette conversation.

Il est évident que d’éventuelles réformes du Code criminel font partie de cette analyse. Il est aussi question de décisions politiques prises ou guidées par Santé Canada. Dans la mesure où nous pouvons approfondir davantage le sujet, je vous invite personnellement à poursuivre la conversation.

Je serais tout à fait disposé à vous fournir des réponses par écrit par l’intermédiaire de mon bureau après la fin de la période de questions d’aujourd’hui.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci. Je suis content que vous souhaitiez poursuivre la conversation.

Dans un article de La Presse canadienne paru en août dernier, les parties prenantes ont affirmé qu’elles n’arrivaient pas à vous rencontrer pour discuter de cet enjeu. Certaines personnes ont rencontré vos fonctionnaires. Avez-vous personnellement l’intention de rencontrer les parties prenantes? Sinon, considérant les nombreuses revendications qui ont été faites au cours des dernières années et l’importance de cette question de santé publique, pourquoi ne voulez-vous pas les rencontrer?

M. Fraser : Vous avez raison. Le ministère a des engagements avec des parties prenantes. La semaine prochaine, ma secrétaire parlementaire a également des engagements. Il est possible pour moi personnellement de m’engager avec les parties prenantes, mais ma priorité, durant cette session parlementaire, ce sont trois projets de loi portant sur la réforme de la justice criminelle. Il est très difficile pour moi d’avoir des réunions avec des parties prenantes sur chaque politique dont on discute au pays. Une fois que ce troisième projet de loi sera à la Chambre des communes, il sera possible pour moi de m’entretenir avec des parties prenantes sur d’autres enjeux.

[Traduction]

La surreprésentation des Autochtones dans les prisons

L’honorable Kim Pate : Bienvenue, monsieur le ministre.

Les approches proposées dans le projet de loi C-14 rendent plus difficile l’obtention de la mise en liberté sous caution. Comme nous le savons, ce genre de chose incite souvent les gens dans ces situations à plaider coupables alors qu’ils auraient pu avoir des moyens de se défendre, augmentant ainsi le risque d’erreurs judiciaires et entraînant une hausse massive des taux d’incarcération, en particulier des Autochtones.

En s’engageant à respecter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, le Canada s’est engagé à éliminer la surreprésentation des peuples autochtones d’ici cette année. Au lieu de cela, comme l’a rapporté cette semaine le Bureau de l’enquêteur correctionnel, les femmes autochtones représentent désormais 55 % des femmes purgeant une peine de ressort fédéral.

Les mesures prises jusqu’à présent n’ont pas donné de résultats. Quelles mesures urgentes le gouvernement compte-t-il prendre pour éliminer cette surreprésentation, et incluront-elles l’expiration du casier judiciaire proposée dans le projet de loi S-207, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, afin de prévenir la récidive et d’aider les personnes concernées à aller de l’avant et à contribuer positivement à la société?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci. Cette question soulève beaucoup de points à aborder en peu de temps.

La surreprésentation est un véritable problème, et il faut s’y attaquer. Comme on le constate aussi, le problème des récidivistes est un véritable défi, et il faut également s’y attaquer.

Quand on a diverses priorités, il arrive parfois qu’elles entrent en conflit les unes avec les autres, et il faut trouver le moyen d’accomplir plusieurs choses en même temps.

Je pense qu’il existe d’autres outils que ce que prévoit le Code criminel en matière de réforme de la mise en liberté sous caution, outils qui permettront de remédier à cette situation, tant à court terme qu’à long terme. Il s’agira en partie de développer l’expertise au sein des tribunaux, et en partie de résoudre certains problèmes que vous avez mentionnés concernant les dossiers. Il y a un processus qui permet aux gouvernements de prendre position sur des projets de loi précis. Je souhaite préserver la possibilité d’avoir une discussion approfondie à ce sujet.

(1500)

Alors que nous prenons des mesures qui vont certainement resserrer les règles relatives à la mise en liberté sous caution pour les personnes qui ont fait l’objet de plusieurs accusations et qui ont un long passé criminel, nous devons également veiller à ce que les tribunaux soient correctement informés. Nous devons mieux appliquer les lois autochtones et inclure les systèmes juridiques autochtones. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des experts dans ce domaine qui nous conseillent, mon ministère et moi-même, sur la manière de réformer les systèmes juridiques afin de mettre en œuvre un changement générationnel qui aidera les gens à court terme et qui résoudra ce problème à long terme. Je vous invite à continuer de participer à cette discussion et à nous faire bénéficier de votre grande expertise.

La sénatrice Pate : Merci. J’attends cela avec impatience, et je serai ravie d’y participer.

Je serais également curieuse de voir les données précises et concrètes que vous et votre ministère avez utilisées pour évaluer les répercussions potentielles du projet de loi C-14 sur la surreprésentation des Autochtones et des autres personnes racisées dans les prisons fédérales et provinciales. Je voudrais connaître les stratégies et les ressources qui seront mises en œuvre pour surveiller ces répercussions dans la pratique ainsi que les mesures que vous avez prises avec le ministre de la Sécurité publique pour adopter des stratégies adéquates de décarcération, y compris des mesures telles que l’expiration des casiers judiciaires.

M. Fraser : Encore une fois, il sera très difficile de répondre en 45 secondes. Nous pourrons évidemment en discuter par la suite.

Les solutions et l’approche que nous tentons de mettre en œuvre se fondent en grande partie sur l’avis des gens qui travaillent au sein du système de justice et qui l’administrent. Ces solutions aux problèmes que nous tentons de résoudre reposent souvent sur la rétroaction de la part d’un milieu où, je le reconnais, nous manquons de données fiables. En ce qui concerne les dispositions pénales fédérales, qui ne sont pas toujours les mieux adaptées à chaque situation, le problème, c’est que, même si nous pouvons élaborer nous-mêmes les dispositions du Code, nous ne sommes pas nécessairement aussi bien placés que les administrateurs des systèmes pour recueillir ces données. Nous devons travailler en collaboration non seulement avec les gouvernements autochtones, mais aussi avec les gouvernements provinciaux et les municipalités qui pourraient être davantage en mesure de recueillir les données. Je n’ai pas le temps d’aborder les autres questions que vous avez mentionnées, mais lors de la discussion qui suivra…

[Français]

Les droits linguistiques des minorités

L’honorable Réjean Aucoin : Bienvenue, monsieur le ministre. Nous sommes tous les deux de la Nouvelle-Écosse, et la Loi sur le divorce, telle qu’elle a été modifiée en 2019, prévoit explicitement le droit pour les justiciables d’être entendus dans la langue officielle de leur choix par un juge compétent dans cette langue. En Nouvelle-Écosse, l’absence d’un juge francophone à la Division de la famille empêche toujours la pleine mise en œuvre de cette obligation légale. Pouvez-vous me préciser quand le gouvernement du Canada entend procéder à la nomination d’un ou une juge francophone afin d’assurer le respect intégral des droits linguistiques prévus dans la Loi sur le divorce?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie pour la question. Il est essentiel pour les Canadiens de parler la langue de leur choix et de vivre dans la langue de leur choix, notamment lors de leurs engagements avec le système de justice, que l’on parle de la Division de la famille ou d’autres divisions.

En ce qui concerne la question de la nomination d’un ou une juge, un processus indépendant a été instauré pour remédier à la situation. À la suite des recommandations qui ont été faites par le comité responsable du dossier, il est possible pour moi de procéder aux nominations. J’ai toutefois l’obligation d’attendre l’avis dudit comité pour émettre des recommandations en ce qui a trait aux personnes visées, à leurs compétences linguistiques et à leurs compétences juridiques.

Le sénateur Aucoin : Merci, monsieur le ministre, mais à ma connaissance, il n’y a aucun membre de la communauté francophone qui siège actuellement à ce comité fédéral désigné pour la province de la Nouvelle-Écosse. Votre gouvernement reconnaît-il que la situation actuelle compromet la mise en œuvre uniforme de la Loi sur le divorce au pays, et peut-il indiquer quelles mesures sont envisagées pour collaborer avec cette province où la loi n’est toujours pas appliquée, pour ainsi remédier rapidement à cette lacune?

M. Fraser : Je vais discuter de votre question avec mes adjoints, mon ministère et les professionnels de la Nouvelle-Écosse concernés lors de notre prochaine rencontre. Comme nous n’avons pas des personnes qui sont restées au comité et qui ont fait des recommandations, il y a un problème. Je prends dès aujourd’hui l’engagement de trouver une piste de solution très rapidement pour régler cette situation, et je vous inviterai ultérieurement pour vous informer du processus, si cela vous intéresse.

Le sénateur Aucoin : Merci.

[Traduction]

Les crimes haineux au Canada

L’honorable Kristopher Wells : Monsieur le ministre, selon les données les plus récentes de Statistique Canada, en 2024, le nombre de crimes haineux signalés à la police était en hausse pour une sixième année consécutive — une hausse exponentielle de 169 % depuis 2018. Malheureusement, la haine semble s’intensifier au Canada. Les membres des communautés juive, noire et 2ELGBTQI+ sont parmi les victimes les plus fréquentes des crimes haineux signalés à la police. Les crimes haineux sont des crimes à messages. Ils indiquent à chaque membre d’une communauté qu’il est à risque de violence et de victimisation. Au cours des deux dernières législatures, le gouvernement a tenté de prendre des mesures pour contrer cette tendance inquiétante en adoptant des projets de loi qui visaient à renforcer la législation canadienne en matière de crimes haineux.

Monsieur le ministre, avec la présentation du projet de loi C-9, nous sommes sur le point de disposer enfin d’outils indispensables pour lutter contre cette vague croissante de haine.

Ma question est la suivante : le gouvernement s’engage-t-il à collaborer avec tous les partis et groupes ainsi qu’avec les principaux intéressés afin de faire adopter cet important projet de loi?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Certainement. La réponse courte à votre question est « oui ». Nous entendons collaborer avec tous les partis et avec les parlementaires des deux Chambres pour assurer la progression de ces mesures législatives importantes.

Vous avez aussi fait remarquer qu’au Canada, certains groupes sont visés de manière disproportionnée par les crimes haineux, comme les juifs, la communauté LGBTQ2IA+ et les Noirs. Au départ, ce projet de loi, qui constituait un engagement électoral, devait s’attaquer à la haine contre les groupes religieux. Très rapidement, lorsque nous avons commencé à discuter, nous nous sommes rendu compte que la haine ne se limite pas aux environs des institutions religieuses. Voilà pourquoi, à la lumière des commentaires entendus, nous avons décidé d’ajouter une infraction distincte aux autres infractions criminelles motivées par la haine.

De ce que je sais des travaux du comité jusqu’à maintenant, je crois comprendre qu’il pourrait proposer des amendements, par exemple sur la définition de la haine, sur le consentement du procureur général d’une province donnée et sur une série d’autres mesures susceptibles d’améliorer le projet de loi.

Nous allons étudier ces amendements de bonne foi. Nous ne voulons surtout pas être dogmatiques par rapport à ce processus. Alors, en ce qui me concerne, si on peut montrer aux Canadiens qu’il existe une forme de collaboration transpartisane et que certaines convictions transcendent les lignes de partis et la région d’origine, bref qu’il y a moyen de s’attaquer à la haine, je crois qu’on pourra seulement renforcer la détermination des gouvernements, mais aussi des Canadiens à combattre la haine où qu’elle soit. Je suis ouvert aux remarques de tous les sénateurs qui souhaitent améliorer ce projet de loi important, peu importe le groupe auquel ils appartiennent.

Le contenu préjudiciable en ligne

L’honorable Kristopher Wells : Je vous remercie, monsieur le ministre. Outre les mesures importantes prévues dans le projet de loi C-9, il y a beaucoup à faire pour lutter contre la haine, particulièrement la haine exprimée en ligne. Au cours de la législature précédente, le gouvernement a déposé un projet de loi complet qui visait à lutter contre les préjudices en ligne, y compris les discours haineux, grâce à la création d’une nouvelle commission de la sécurité numérique. Le gouvernement est-il toujours déterminé à présenter de nouveau un projet de loi afin de lutter contre les préjudices en ligne, notamment la radicalisation croissante et la prolifération de la haine sur Internet et dans les réseaux sociaux?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci. Vous faites référence à l’ancien projet de loi C-63. Les Canadiens peuvent s’attendre à ce que le gouvernement prenne des mesures pour lutter contre certains des préjudices qui faisaient l’objet de ce projet de loi. Vous ne devriez toutefois pas vous attendre à ce qu’un projet de loi identique, qui serait un simple copier-coller, soit présenté. À titre d’exemple, grâce au projet de loi C-9, que vous avez mentionné, nous avons déjà pris certaines des mesures qui avaient été proposées. Le projet de loi auquel j’ai fait référence plus tôt pendant mon intervention au Sénat visera la violence fondée sur le sexe et la protection des enfants en ligne. Il comprendra des mesures supplémentaires qui concernent des modifications du Code criminel.

En plus des modifications que nous prévoyons apporter à la justice pénale, un processus de consultation est en cours. Mes collègues — les ministres responsables de l’identité culturelle et de l’intelligence artificielle — y participent, et je crois savoir qu’ils envisagent des changements supplémentaires dans ce domaine.

Les droits des victimes

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, plus tôt cet automne, j’ai présenté le projet de loi S-236, qui vise à modifier la Charte canadienne des droits des victimes et à établir un cadre contraignant pour la mise en œuvre des droits des victimes au Canada. C’est un travail que de nombreux défenseurs des victimes et, à vrai dire, de nombreux parlementaires s’attendaient à ce que le gouvernement fédéral fasse depuis l’adoption de cette charte en 2015. Pourtant, après plus d’une décennie, aucun mécanisme législatif concret n’a été instauré pour rendre ces droits significatifs et exécutoires.

Pourquoi votre gouvernement n’a-t-il rien fait depuis près de 10 ans pour renforcer de manière significative les droits des victimes, et pourquoi est-ce aux simples parlementaires, et non à votre ministère, le ministère de la Justice, qu’il revient de faire avancer cette question pour les victimes qui ont désespérément besoin d’aide?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie sincèrement pour votre question et, surtout, je comprends que vous souhaitez soutenir les victimes de crimes dans ce pays. Au risque de me répéter, j’ai mentionné un projet de loi à plusieurs reprises, et nous le présenterons dans les prochaines semaines.

(1510)

Ce projet de loi ou de futures mesures législatives pourraient porter sur certaines questions que nous souhaitons cibler. J’ai mentionné la violence entre partenaires intimes et la protection des enfants en ligne. Nous chercherons également à remédier aux délais dans le système judiciaire.

Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place un cadre législatif visant à réformer la Charte canadienne des droits des victimes. Les gens doivent savoir à quels types de renseignements ils peuvent avoir accès. Ils doivent savoir comment accéder à des moyens destinés à faciliter les témoignages en vue de participer au processus. Les gens doivent comprendre les recours qui sont à leur portée, autant dans le cadre d’une procédure pénale que civile lorsqu’ils sont victimes d’un crime.

Il s’agit d’une question extrêmement importante. Elle retient l’attention non seulement des parlementaires, mais du gouvernement du Canada dans son ensemble. Le ministère de la Justice est pleinement saisi de la question et est en train de préparer un projet de réformes en ce moment même.

Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, cela fait également une décennie que nous répétons la même chose en ce qui concerne les droits des victimes. Si votre gouvernement est vraiment déterminé à améliorer les droits des victimes, comment expliquez-vous que le rapport sur la Loi sur l’abrogation des lois produit par votre propre ministère prévoit l’abrogation d’une disposition explicitement conçue pour faciliter l’accès à l’information pour les victimes, y compris l’information sur les conditions de libération, les absences temporaires et les risques de proximité avec les contrevenants? Comment le gouvernement peut-il prétendre soutenir les victimes alors qu’il fait des démarches parallèles pour abroger une disposition spécialement conçue pour les protéger, une disposition qui n’est d’ailleurs jamais entrée en vigueur?

M. Fraser : La loi dont vous parlez est un processus qui se déroule chaque année. Il s’agit d’un mécanisme de bonne gouvernance qui permet de faire le ménage dans les lois qui ne sont jamais entrées en vigueur. Certaines de ces lois n’entrent pas en vigueur pour de bonnes raisons, d’autres restent lettre morte et ne contribuent en rien à aider les gens.

Je n’attacherais pas une trop grande importance à l’abrogation symbolique de dispositions législatives qui ne sont jamais entrées en vigueur, alors que nous pouvons simultanément mettre en avant les initiatives que j’ai mentionnées et qui seront présentées par l’entremise d’une loi visant à modifier la Charte canadienne des droits des victimes.

Si vous avez des questions complémentaires sur les lois qui ne sont pas entrées en vigueur, mais qui ont été abrogées, je me ferai un plaisir de faire un suivi de toutes les questions que votre bureau pourrait avoir et d’y répondre en privé.

[Français]

Les peines minimales obligatoires

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, le 31 octobre 2025, dans l’arrêt Senneville, dans une décision partagée de cinq contre quatre, la Cour suprême du Canada a invalidé les peines minimales obligatoires d’un an d’emprisonnement pour possession de pornographie juvénile et pour accès à de la pornographie juvénile en déclarant ces peines inconstitutionnelles. Ce jugement a profondément choqué une grande partie de la population canadienne.

Ma question est simple. Le gouvernement libéral entend-il réagir à cette décision en ayant recours à l’outil constitutionnel que représente la disposition de dérogation, ou bien s’est-il volontairement privé de cette possibilité en intervenant contre le projet de loi no 21 du Québec devant la Cour suprême, intervention qui, je le rappelle, a coûté de 2 millions de dollars pour 22 pages d’argumentaire?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Je vous remercie pour la question. Je vais déposer très bientôt un projet de loi qui se penchera sur cette décision de la Cour suprême.

[Traduction]

Les crimes de nature sexuelle contre des enfants, comme le matériel d’exploitation et d’abus pédosexuel, comptent parmi les crimes les plus odieux au Canada. Le système de justice pénale devrait intervenir et punir ceux qui agressent des enfants et qui commettent ce genre d’actes de violence horribles contre eux.

La Cour suprême a cerné un point précis qui lui a fait douter de la constitutionnalité des peines minimales obligatoires. Je crois que nous pouvons régler cette question assez facilement à l’aide des outils constitutionnels dont nous disposons aujourd’hui. Selon moi, nous pouvons agir plus rapidement en restant dans les limites de la Constitution sans nécessairement recourir immédiatement à la disposition de dérogation pour répondre à ce besoin urgent d’agir.

Il existe un vide juridique depuis la décision Senneville. Nous allons combler ce vide, et ce, très rapidement.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, je prends acte de votre réponse. Cependant, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre pour garantir que les peines minimales liées à la pornographie juvénile demeurent suffisamment dissuasives et reflètent la gravité des crimes?

En effet, au-delà du débat politique, il y a ici une exigence morale, que vous avez bien soulignée, qui est celle de protéger les enfants avec fermeté et cohérence.

M. Fraser : Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il ne s’agit pas d’un enjeu partisan, car il est essentiel de pouvoir défendre nos enfants, qui sont les personnes les plus vulnérables de notre société.

Quant aux stratégies relatives à la décision de la Cour suprême du Canada, nous finalisons actuellement nos recommandations. Je dois m’entretenir avec mes homologues du Cabinet afin de faire avancer le projet de loi à la Chambre des communes. Certains enjeux concernent les privilèges parlementaires de mes collègues.

[Traduction]

Je souhaite avoir l’occasion de mener à bien le processus d’élaboration de la politique, de présenter un projet de loi et d’en discuter ouvertement avec les deux Chambres rapidement.

La réforme de la libération sous caution

L’honorable Bernadette Clement : Bonjour, monsieur le ministre. Il y a de nouvelles occasions de lever le voile sur les répercussions du racisme systémique.

Lors de la réunion du 7 octobre 2025 du Comité de la justice, dans le cadre de son étude sur la liberté sous caution, la détermination de la peine et le traitement des délinquants violents récidivistes, Nicole Myers, du Département de sociologie de l’Université Queen’s, a déclaré ce qui suit :

Il est essentiel de souligner que les peuples autochtones, les Noirs et les autres personnes racisées, les personnes en situation de pauvreté, ainsi que celles qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie sont nettement surreprésentés. Autrement dit, ce sont les plus marginalisés de la société qui subissent les conséquences les plus punitives de notre système. Toute mesure visant à durcir le système de mise en liberté sous caution ne fera qu’accentuer ce déséquilibre.

Dans la mesure où le projet de loi C-14 ne fera que creuser encore davantage le racisme systémique dont font l’objet les Noirs, que fait votre gouvernement pour atténuer ou corriger ces effets pendant qu’il légifère sur la mise en liberté sous caution?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : C’est extrêmement important, et nous y avons fait allusion lors d’une conversation précédente. Il y a de multiples problèmes à régler au sein du système de justice criminelle. Je crois que nous devons resserrer le système de mise en liberté sous caution et apporter des changements importants aux peines, en particulier pour les récidivistes violents.

Je ne veux pas aggraver le problème très réel de la surreprésentation. Nous savons que les délinquants autochtones et noirs, en particulier, sont plus susceptibles d’être condamnés à des peines d’emprisonnement. Nous savons qu’au départ ils sont plus susceptibles d’avoir des interactions avec la police. Il y a plusieurs raisons à cela. Toutefois, quand nous travaillons sur les lois pénales du Canada, je veux aboutir à un cadre dont l’objectif est de protéger et de promouvoir la sécurité publique, et je veux m’assurer que nous avons les ressources et les systèmes pour répondre aux impacts en aval dont vous avez parlé aujourd’hui.

Cela inclura toute une gamme d’outils. Certains d’entre eux consisteront en une formation importante visant à garantir que les personnes possèdent les compétences nécessaires en matière de culture, que ce soit dans le cadre de fonctions de police communautaire, de procureur de la Couronne ou de magistrat. N’oubliez pas que, dans les services d’aide aux victimes, la surreprésentation n’est pas seulement un problème d’incarcération, mais aussi un problème concernant les personnes victimes de crimes.

En plus d’injecter les ressources nécessaires dans le système — et il n’est pas question de simplement augmenter le nombre de policiers dans les rues, mais plutôt de mieux former ces policiers ainsi que les gens qui font partie du système —, nous devons prévoir l’argent nécessaire en amont afin que les jeunes à risque ne soient pas plus susceptibles d’adopter un mode de vie criminel. Il faut des logements adaptés, accueillants et abordables ainsi que des mécanismes de soutien pour ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de dépendance.

Je vois que je n’ai plus de temps, mais je serais ravi de poursuivre cette conversation.

La sénatrice Clement : Pour rester sur le sujet des jeunes, la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires nous rappelle que l’Énoncé économique de l’automne 2024 prévoyait 23,6 millions de dollars sur deux ans, à compter de 2025-2026, pour la création de programmes de déjudiciarisation, de groupes consultatifs et de surveillance des jeunes noirs mis en liberté sous caution.

Ce financement a-t-il été reçu? Où en est cet engagement?

M. Fraser : Je vous remercie pour la question..

Même si le Parlement a été prorogé, que le gouvernement a changé, qu’un nouveau Cabinet a été nommé et qu’il n’y a pas eu de travaux législatifs de l’été, le financement annoncé dans l’Énoncé économique de l’automne 2024 a suivi le processus du Conseil du Trésor. Les appels de propositions ont été rendus publics. Je m’attends à recevoir les recommandations de mon ministère d’ici environ un mois, et nous espérons pouvoir débloquer les fonds prévus dans l’Énoncé économique de l’automne 2024 au début de l’année prochaine.

La surreprésentation des Canadiens noirs dans les prisons

L’honorable Rosemary Moodie : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre Fraser.

En tant que procureur général du Canada, vous supervisez le Service des poursuites pénales du Canada. Les Noirs sont surreprésentés dans les établissements pénitentiaires fédéraux, c’est-à-dire que leur nombre par rapport à l’ensemble de la population carcérale équivaut à une proportion bien supérieure à leur poids réel dans la population canadienne. Vous avez évoqué certaines mesures que le gouvernement du Canada compte prendre pour tenter de changer et d’inverser cette tendance.

Pouvez-vous nous dire quelles mesures précises vous prenez pour que les procureurs fédéraux suivent une formation obligatoire sur le racisme anti-Noirs, pour revoir les pratiques liées au pouvoir discrétionnaire des procureurs et pour cerner les disparités dans le choix des chefs d’accusation et les négociations de plaidoyer, où les Canadiens noirs sont plus souvent désavantagés que les autres, toutes proportions gardées?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Il s’agit là d’une discussion qui revêt manifestement une grande importance pour le Sénat. À mesure que je reçois ces questions, je commence à réfléchir à l’intérêt qu’il y aurait à mener une étude parlementaire approfondie afin d’examiner les solutions systémiques qui pourraient remédier à la surreprésentation.

(1520)

Une formation supplémentaire pour les procureurs du service des poursuites pénales doit faire partie de la solution. Il est parfois difficile de prévoir les stratégies à long terme, car bon nombre de décisions relatives au fonctionnement, y compris celles qui portent sur la formation, sont prises par les responsables du service des poursuites pénales, qui est indépendant de mon cabinet.

Nous pouvons affecter des ressources à certains thèmes, mais la nature exacte de la formation variera probablement selon la nature des problèmes rencontrés dans différentes régions du pays, au sein des communautés concernées. Depuis Ottawa, il est difficile de dire très clairement ce qui peut être fait exactement pour relever des défis qui diffèrent d’une région à l’autre et d’une communauté à l’autre.

Je me contenterai de dire que l’affectation de ressources pour mieux former non seulement les procureurs, mais aussi les policiers, les juges et les autres intervenants du système judiciaire doit faire partie de la solution à long terme, mais je dirais qu’il faudrait une discussion plus en profondeur, en particulier avec les groupes surreprésentés.

La sénatrice Moodie : Merci. Les Noirs sont également surreprésentés parmi les délinquants sous la responsabilité des services correctionnels provinciaux. Pouvez-vous nous dire de quelle manière vous avez engagé le dialogue avec les procureurs généraux des provinces au sujet de changements similaires dans la formation des procureurs et l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire dans leur champ de compétence, pour que les Canadiens noirs bénéficient d’un traitement équitable devant la justice partout au pays, et pas seulement à l’échelon fédéral?

M. Fraser : Je vous remercie de votre question. À quelques exceptions près, en raison de la tenue d’élections provinciales très récemment, j’ai eu l’occasion de discuter longuement de toute une série de questions avec mes homologues des provinces. Nos discussions ne portaient pas uniquement sur les changements que nous proposons d’apporter par voie législative, dans le système de justice pénale, mais aussi, et surtout, sur la nécessité pour les gouvernements provinciaux, qui sont responsables de l’administration de ces systèmes, de prévoir les sommes nécessaires pour remédier à la surreprésentation.

Bien sûr, les décisions que chacun d’entre eux prendra varieront selon la province. Je crois que mes homologues comprennent que les changements apportés — qui, en passant, ont été réclamés par les gouvernements provinciaux — nécessiteront une augmentation des ressources venant des provinces. Certaines de ces ressources seront consacrées à la formation. D’autres seront affectées aux rouages du système, mais je tiens à respecter le temps qui m’est imparti, maintenant que le greffier au Bureau se lève.

L’application des règlements administratifs des Premières Nations

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Rebonjour, monsieur le ministre. Je tiens d’abord à féliciter la sénatrice Mary Jane McCallum, qui parraine deux projets de loi visant à assurer l’application adéquate des règlements administratifs des Premières Nations. Un projet de loi vise la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, mais l’autre vise la Loi sur le directeur des poursuites pénales.

Comme vous le savez sans doute, l’application des règlements administratifs ne concerne pas seulement les services de police, mais aussi les procureurs, qui doivent les appliquer en intentant des poursuites.

Monsieur le ministre, puisque la loi reconnaît que les règlements administratifs des Premières Nations ont le même poids juridique que les lois promulguées par le Parlement, votre gouvernement s’engagera-t-il à veiller à ce que les règlements administratifs soient appliqués correctement et à ce que des poursuites soient intentées?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci. Si vous m’aviez demandé, avant de faire de la politique, de nommer la politique la plus réussie dont j’ai personnellement eu vent, j’aurais sans doute répondu que ce sont les changements au réseau de l’éducation de la Nouvelle-Écosse et le moment où on a confié les rênes de l’éducation à l’organisme Mi’kmaw Kina’matnewey, car les taux de diplomation parmi les étudiants mi’kmaqs de ma province ont fait un bond remarquable, passant de moins de 40 % à plus de 94 % de nos jours, ce qui est supérieur à la moyenne nationale.

La clé du succès, dans ce cas-ci, a été de confier la direction du projet aux personnes qui connaissaient le mieux le dossier. Personnellement, j’ai l’intime conviction que nous pouvons faire quelque chose de concret pour mieux faire appliquer les règlements adoptés par les gouvernements autochtones et pour reconnaître les systèmes juridiques autochtones.

Je ne veux pas avancer à tâtons. Je veux pouvoir asseoir ma réflexion sur les discussions qui ont eu lieu sur le sujet, y compris dans le cadre du conseil consultatif que nous avons mis sur pied pour guider la mise en œuvre de la déclaration de l’ONU. Je veux aussi faire progresser et mettre en œuvre la Stratégie en matière de justice autochtone, qui ne s’intéresse pas seulement aux règlements dont vous parlez, mais aussi aux systèmes juridiques autochtones.

C’est un travail important. Il faudra collaborer avec les détenteurs de droits, ce qui est essentiel si nous voulons comprendre comment procéder correctement. Ce dossier m’intéresse beaucoup. Je veux faire en sorte que nous adoptions réellement les lois qui sont adoptées par les personnes qui connaissent le mieux leurs communautés.

Le sénateur Prosper : Merci, monsieur le ministre. Je dois vous dire que toutes les communautés que j’ai visitées au cours de ma tournée dans le Mi’kma’ki ont soulevé la question de l’application des règlements comme une priorité. Que fait votre ministère pour garantir que les règlements sont respectés et que ceux qui les enfreignent sont dûment poursuivis?

M. Fraser : Pour être tout à fait honnête, cette conversation n’en est pas à l’étape que je souhaiterais. Franchement, j’aurais aimé que la conversation se tienne au cours des quelque 160 dernières années au Canada. Malheureusement, elle ne retient l’attention des décideurs politiques fédéraux que depuis quelques années. Il existe peut-être quelques exceptions à cette affirmation générale, mais il est certain qu’au niveau du gouvernement du Canada, on constate un engagement plus profond à l’égard de cette question.

Concrètement, tandis que nous passons en revue la liste des priorités de la Stratégie en matière de justice autochtone, nous cherchons à adopter un cadre qui nous permettra de mobiliser les détenteurs de droits afin de mieux mettre en œuvre les règlements qu’ils proposent.

Le système de justice pénale

L’honorable Rodger Cuzner : Je vous souhaite la bienvenue, mon ami. C’est toujours un plaisir d’accueillir un autre porteur de l’anneau de St. Francis Xavier à la Chambre haute.

Monsieur le ministre, ma question porte sur un cas horrible — je sais que vous êtes au courant de ce cas, qui fait de nouveau les manchettes en Nouvelle-Écosse —, celui de Fenwick MacIntosh, anciennement de Port Hawkesbury, en Nouvelle-Écosse. Dans les années 1970, cet homme a été reconnu coupable de 17 chefs d’accusation d’agression sexuelle contre 9 jeunes garçons. Ces accusations ont par la suite été invalidées par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, puis, en avril 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel de la Couronne.

À la suite de la décision de la Cour suprême, on a relevé dans un rapport du gouvernement fédéral un certain nombre d’erreurs humaines qui auraient pu être repérées grâce à une meilleure surveillance, à un meilleur suivi et à une meilleure communication entre les ministères et les organismes responsables.

Pouvez-vous nous parler des mesures prises par le ministère de la Justice du Canada pour veiller à ce que de tels incidents ne se reproduisent plus jamais?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Merci beaucoup. Avant de répondre à cette question on ne peut plus sérieuse, je dois dire que je suis ravi de vous voir ici, sénateur Cuzner. Ils laissent entrer n’importe qui, on dirait.

Votre question, cela dit, est extrêmement sérieuse. Ce dossier a retenu l’attention des Néo-Écossais, et pas de belle façon. On a pu voir que l’erreur humaine est aussi présente dans l’appareil judiciaire et, surtout, que le temps requis pour entendre une affaire constitue un énorme problème. Il y a certaines solutions pratiques auxquelles nous devons nous intéresser. Nous allons aussi devoir discuter avec nos homologues provinciaux, car c’est d’eux que relève l’administration de la justice.

En plus de collaborer avec les provinces et de nous occuper de nos propres affaires, nous devons nous attaquer aux procès criminels qui s’étendent sur des années. Sans nommer un cas en particulier, je peux dire que nous tâchons de raccourcir certains des retards, qui ont seulement empiré depuis l’arrêt R. c. Jordan. Les Canadiens constatent que certaines affaires mettant en cause des enquêtes complexes sur le milieu de la drogue ou des agressions sexuelles finissent par tomber parce qu’elles n’ont pas été instruites à temps et non parce que la personne a réussi à se défendre des accusations qui pesaient contre elle.

Nous avons bel et bien l’intention de légiférer pour nous attaquer à certains de ces problèmes. Il faudra pour ce faire établir comment calculer le temps maximal pour entendre une cause et déterminer le moment où un tribunal peut refuser de se prononcer parce que trop de temps s’est écoulé. Il va falloir simplifier le processus afin que la marche à suivre pour produire des éléments de preuve soit moins lourde et ne retarde pas indûment les procédures ou fasse augmenter les risques qu’on passe à côté de quelque chose ou, en fin de compte...

Son Honneur la Présidente : Merci, monsieur le ministre.

L’antisémitisme

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, le chef des services secrets canadiens a lancé un avertissement alarmant la semaine dernière. Près d’une enquête sur le terrorisme sur dix concerne désormais au moins un mineur radicalisé en ligne. Il a signalé que les contenus extrémistes violents, y compris l’antisémitisme, se propagent plus rapidement que jamais et ciblent de plus en plus les jeunes.

Plus inquiétant encore, il a confirmé que plusieurs complots ayant été déjoués concernaient des attentats visant spécifiquement les communautés juives, notamment deux mineurs d’Ottawa arrêtés l’année dernière pour avoir prétendument planifié un attentat causant des pertes massives.

Monsieur le ministre, voilà ce qui arrive quand le gouvernement libéral autorise la promotion ouverte et délibérée de la propagande extrémiste dans les rues de notre pays, y compris les manifestations propalestiniennes appelant à l’intifada et à l’élimination de l’État d’Israël et de son peuple. Quand le gouvernement prendra-t-il enfin au sérieux l’antisémitisme et proposera-t-il des mesures juridiques concrètes pour protéger les Canadiens d’origine juive contre les menaces croissantes auxquelles ils sont confrontés aux quatre coins du pays? Je sais que le Sénat sera bientôt saisi d’un projet de loi à cet égard, mais pourquoi cela a-t-il pris autant de temps? Et pourquoi avons-nous dû en arriver là où nous en sommes aujourd’hui?

L’honorable Sean Fraser, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique : Sénateur Housakos, vous avez soulevé plusieurs questions dans votre intervention. La première concerne le recrutement de mineurs pour commettre des infractions criminelles très graves. Il s’agit là d’un problème urgent et grave qui exige que des mesures soient prises. Nous étudions diverses options, vraisemblablement d’ordre législatif, qui permettront de lutter contre le recrutement de jeunes pour commettre des activités criminelles, pour se joindre à des organisations criminelles et potentiellement pour mener des activités terroristes.

(1530)

Nous devons faire comprendre très clairement que les personnes qui recrutent des enfants pour commettre des actes criminels subiront de très lourdes conséquences.

Certains ont l’impression que les jeunes sont de meilleurs candidats pour certains types d’activités criminelles, car ils pourraient écoper de peines moins sévères. Nous devons remonter à la source pour veiller à ce que ceux qui commettent des actes aussi graves que le recrutement d’enfants à des fins criminelles soient sévèrement punis.

Quant à votre deuxième point sur la protection des Canadiens de confession juive, je ne suis pas d’accord sur un point : je crois qu’il faut faire la distinction entre une manifestation pacifique en faveur de la Palestine et la haine envers la communauté juive canadienne.

Comme nous en avons longuement discuté lors de ma comparution aujourd’hui, le gouvernement a l’intention de concevoir des mesures législatives qui protégeraient les institutions religieuses, y compris les synagogues, et les bâtiments religieux, notamment les centres communautaires juifs. Ces mesures s’attaqueraient aussi aux crimes haineux en général, quel que soit l’endroit où ils sont commis. Mon temps de parole est écoulé. Il s’agit là d’une discussion importante, et je vous remercie de m’avoir posé cette question.

Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, je pense que le gouvernement est en retard. Il me semble que la volonté politique nécessaire pour s’attaquer concrètement et sérieusement à l’antisémitisme a fait défaut, alors qu’à Toronto, il y a des manifestants radicaux pro-Hamas qui interrompent l’enregistrement de l’hymne national canadien et qui obtiennent l’appui des forces de police, et que, plus tôt aujourd’hui, un étudiant juif m’a envoyé une vidéo de manifestants à l’Université McGill. En fait, c’est une façon de parler, parce que ce ne sont pas de simples manifestants, mais bien des personnes masquées qui font irruption dans une salle de cours de l’université sous la supervision du personnel de sécurité de l’université. Voilà qui montre à quel point les choses ont dégénéré. Les choses ont dégénéré parce que nous n’appliquons pas le Code criminel et les dispositions qui traitent des crimes haineux, parce que la volonté politique n’est pas là.

Quand l’autorité suprême en la matière, c’est-à-dire le ministre de la Justice, et le premier ministre se décideront-ils à envoyer le signal que ce genre de comportements ne sera plus toléré?

M. Fraser : Vous voulez savoir quand nous allons commencer à envoyer un signal en ce sens. J’aurais cru que saisir la Chambre des communes d’un projet de loi portant sur ce problème bien précis équivaudrait à envoyer un tel signal.

Avec tout le respect que je vous dois, il y a des représentants des intérêts des Canadiens de confession juive qui appuient le projet de loi que nous avons proposé, et il y a aussi des parlementaires des autres partis qui crient à la censure et qui refusent de s’engager à appuyer les mesures qui ont été façonnées en tenant compte des commentaires de la communauté juive.

Nous nous sommes éloignés considérablement de la vision initiale du projet de loi, qui devait au départ protéger les personnes présentes dans les institutions et les bâtiments religieux, afin que le texte ne sanctionne pas uniquement la haine contre les Canadiens de confession juive, mais la haine en général, quel que soit l’endroit où elle se manifeste.

Le signal que vous réclamez a été envoyé. Le changement est amorcé. Tout ce qu’il reste à faire, c’est obtenir le soutien de suffisamment de députés des différents partis.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

Je suis convaincu que vous vous joindrez tous à moi pour remercier le ministre Fraser de s’être déplacé aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

Des voix : Bravo!


ORDRE DU JOUR

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’honorable Suze Youance propose, au nom de la sénatrice Coyle, que le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, soyez indulgents, car je m’exprime dans ma troisième langue.

J’ai l’honneur de prendre la parole au nom de la sénatrice Coyle, la marraine du projet de loi C-3, qui s’excuse de ne pas pouvoir être présente aujourd’hui en raison de circonstances imprévues.

Nous travaillons ensemble sur ce projet de loi important, car je suis la responsable législative du projet de loi C-3 au sein du Groupe des sénateurs indépendants. La sénatrice Coyle m’a demandé de lire ses observations aujourd’hui. Les voici :

Chers collègues, à l’étape de la deuxième lecture, je vous ai brièvement présenté l’évolution du statut juridique de la citoyenneté canadienne ainsi que de la Loi sur la citoyenneté, que modifie le projet de loi qui nous occupe.

J’ai parlé de quelques-unes des modifications apportées à cette loi au fil des ans et de certaines répercussions de ces modifications, dont les problèmes que le projet de loi C-3 vise à corriger. J’ai aussi donné quelques exemples.

J’ai notamment parlé de ma famille, de ma fille, Lindelwa Naledi Coyle, à qui j’ai donné naissance au Botswana et qui ne jouit pas des mêmes droits que ses sœurs nées au Canada, Emilie et Lauren, à savoir celui de transmettre sa citoyenneté à ses filles, Violetta et Sierra, qui sont nées au Mexique.

J’ai présenté les principaux éléments du projet de loi, qui définissent les règles claires d’accès à la citoyenneté par filiation qui s’appliqueront dorénavant. À l’avenir, les enfants nés ou adoptés à l’étranger d’un parent canadien né ou adopté à l’étranger pourront obtenir la citoyenneté canadienne si ce parent a un lien substantiel avec le Canada.

Le projet de loi comble également des lacunes historiques. S’il est adopté, il conférera la citoyenneté aux personnes assujetties à la limite de la première génération, c’est-à-dire à toute personne qui, avant l’entrée en vigueur du projet de loi, est née à l’étranger d’un parent canadien, à partir de la deuxième génération.

Il rétablit également la citoyenneté de certaines personnes qui l’ont déjà perdue et fournit un cadre pour offrir une voie d’accès à la citoyenneté semblable à celle qui est offerte aux familles qui adoptent des enfants à l’étranger, et ce, dans la plupart des cas, mais pas tous. J’y reviendrai plus tard.

J’ai déjà expliqué pourquoi le projet de loi C-3 est à la fois nécessaire et urgent.

Notre tâche à l’étape de la troisième lecture consiste à déterminer si le projet de loi dont nous sommes saisis propose une façon pratique et fondée sur des principes de rétablir de manière équitable l’accès à la citoyenneté par filiation.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a terminé son étude du projet de loi C-3 et en a fait rapport à la Chambre sans proposition d’amendement.

Le Comité des affaires sociales s’est réuni le 17 novembre pour étudier le projet de loi C-3. Le Comité a entendu la ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté et des fonctionnaires de son ministère, ainsi que neuf autres témoins, y compris des avocats de l’Association du Barreau canadien et de l’Association canadienne des avocats en immigration, des universitaires, des militants pour les droits des parents adoptifs, des militants pour les droits des Canadiens dépossédés de leur citoyenneté et le directeur parlementaire du budget.

Le Comité des affaires sociales a également mené, en décembre 2024, une étude préalable du prédécesseur du projet de loi C-3, le projet de loi C-71.

En tant que sénatrice qui parraine le projet de loi C-3 au Sénat, je souscris aux conclusions du rapport du comité. Certains collègues ont demandé si adopter ce projet de loi maintenant nous laissera suffisamment de temps pour un second examen objectif. Je comprends cette préoccupation, mais le contexte juridique et administratif est important.

En décembre 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré inconstitutionnelles des dispositions fondamentales de la limite imposée à la citoyenneté par filiation après la première génération. Elle a estimé qu’elles violaient le droit à l’égalité et la liberté de circulation et d’établissement garantis par la Charte. Afin de laisser au Parlement le temps de réagir, la Cour avait d’abord suspendu l’application de sa déclaration jusqu’au 20 novembre, soit demain, mais elle a accordé récemment une prolongation jusqu’au 20 janvier 2026.

Le projet de loi C-3 est la solution. Il permettrait de régulariser la situation des personnes qui, sans la limite de la première génération fixée en 2009, auraient été des citoyens canadiens par filiation dès leur naissance. Parmi celles-ci figurent une cohorte d’enfants de 16 ans et moins ainsi que les descendants de Canadiens qui avaient été dépossédés de leur citoyenneté et qui ont déjà bénéficié d’une mesure corrective. Il y a aussi une petite cohorte qui a perdu sa citoyenneté en vertu des dispositions obsolètes de la Loi sur la citoyenneté de 1977.

(1540)

À l’avenir, le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, garantirait également qu’un enfant né ou adopté à l’étranger par un Canadien ayant un lien substantiel avec le Canada ait accès à la citoyenneté, quel que soit le lieu de résidence de la famille.

Ce lien doit être démontré par la présence physique du parent au Canada pendant au moins 1 095 jours cumulatifs — soit trois ans au total — avant la naissance ou l’adoption de l’enfant à l’étranger. Certaines personnes ont fait valoir que ces trois années devraient être comprises dans une période de cinq ans, car cette approche correspond à celle du Canada en ce qui concerne la naturalisation. Cependant, la citoyenneté par filiation est différente. Il ne s’agit pas d’accorder la citoyenneté à une nouvelle personne qui a immigré au Canada. Il s’agit de vérifier qu’un Canadien né ou adopté à l’étranger a un lien substantiel avec ce pays avant de pouvoir transmettre la citoyenneté à son enfant également né ou adopté à l’étranger. Un modèle cumulatif reconnaît la réalité selon laquelle les Canadiens peuvent établir des liens profonds et durables avec notre pays au fil du temps, même si ces liens ne sont pas établis au cours d’une période de cinq ans.

Nous avons aussi entendu des préoccupations au sujet du nombre de demandes, des coûts et des pressions possibles sur les services sociaux. Chers collègues, il est important de noter que les craintes alarmistes selon lesquelles des centaines de milliers, voire un million de personnes obtiendraient la citoyenneté canadienne à cause du projet de loi C-3 sont exagérées et sans fondement.

Lundi soir, pendant la réunion du comité, Jason Jacques, le directeur parlementaire du budget par intérim, a affirmé :

[...] Selon notre analyse, nous estimons le coût net total des modifications proposées à la Loi sur la citoyenneté à 20,8 millions de dollars sur cinq ans. Le nombre total des personnes touchées est estimé à environ 150 000 au cours de la même période. [...]

De janvier 2024 à juillet 2025, le ministère a reçu un peu plus de 4 200 demandes dans le cadre de la mesure provisoire destinée aux personnes concernées par la limite de la première génération. Des modifications similaires avaient déjà été apportées en 2009 et 2015, et au cours des décennies qui ont suivi, environ 20 000 personnes ont demandé une preuve que la citoyenneté leur a été rendue.

Le nombre de demandes d’attribution discrétionnaire de la citoyenneté de la part de personnes qui l’ont perdue en raison de l’article 8 est faible, lui aussi, et il est en train de diminuer. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, recevait initialement entre 35 et 40 demandes par an. Le ministère n’a constaté aucune augmentation marquée du nombre de demandes dans tous ces cas.

L’incidence nette sur les coûts devrait également être limitée.

Certaines personnes visées par le projet de loi C-3 vivent déjà au Canada et contribuent aux recettes de l’État, tandis que celles qui se trouvent à l’étranger ne sont généralement pas admissibles à la plupart des programmes sociaux du Canada. Chaque programme fédéral et provincial a ses règles d’admissibilité fondées sur l’âge, le revenu, le statut juridique, la déclaration de revenus ou la résidence au Canada ou dans une province pendant une période déterminée. Toute personne qui présente une demande pour bénéficier d’un programme ou d’un service doit satisfaire à tous les critères, comme tout autre Canadien.

Des questions ont également été soulevées sur les vérifications de sécurité, les tests de langue et de connaissances. La citoyenneté par filiation n’a jamais exigé de vérification des antécédents pour des raisons de sécurité, des antécédents criminels ou des compétences linguistiques, et ce projet de loi maintient cette situation. Le Canada ne peut pas avoir différentes catégories de citoyens : ceux qui sont nés ici et dont la citoyenneté est automatique, et ceux qui sont nés à l’étranger au-delà de la première génération et qui doivent se soumettre à des tests complémentaires.

Le fardeau de la preuve repose entièrement sur les épaules du parent canadien, qui doit fournir la preuve de sa présence physique au Canada pendant 1 095 jours avant la naissance ou l’adoption de son enfant à l’étranger. Les documents comme les relevés de notes, les relevés de paie ou les baux seront examinés par des agents. Si un parent ne peut pas démontrer son lien substantiel avec le Canada, son enfant né ou adopté à l’étranger n’obtiendra pas la citoyenneté canadienne.

Chers collègues, lors de la deuxième lecture, le porte-parole pour ce projet de loi a fait valoir que le gouvernement aurait dû faire appel de la décision de la cour et qu’en procédant dans le délai fixé par le juge, le gouvernement risquait de restreindre le débat. Je comprends toujours cette préoccupation. Cependant, nous ne sommes pas en train de légiférer à l’aveuglette et nous n’avons pas beaucoup de temps, même avec le nouveau délai.

Nous avons un problème constitutionnel à régler. Nous avons une solution claire. Nous avons examiné soigneusement plusieurs options de politique. La norme des 1 095 jours au total s’inspire des règles de naturalisation. Elle est appliquée différemment afin d’offrir aux Canadiens la flexibilité nécessaire pour profiter des possibilités qui s’offrent à eux à l’étranger. Il s’agit d’une règle qu’il est réaliste de vouloir appliquer, qui respecte la réalité vécue par les familles et qui préserve la valeur de la citoyenneté canadienne.

Certains pensent que les Canadiens dont les origines canadiennes remontent à de nombreuses générations et qui vivent à l’étranger en permanence devraient pouvoir obtenir la citoyenneté sans avoir à faire la démonstration du lien substantiel. La structure du projet de loi offre une solution à cette situation. Chaque génération suivant la première génération devrait démontrer à nouveau son lien au Canada avant de transmettre la citoyenneté aux enfants nés à l’étranger. Si un parent n’a pas de lien substantiel avec notre pays, la citoyenneté par filiation s’arrêterait avec lui.

Lors de la réunion du comité de lundi, nous avons entendu parler du problème inverse qui existe à cause du monde d’aujourd’hui. Nous avons entendu parler des difficultés et des coûts que cette situation non résolue impose aux Canadiennes qui sont nées à l’étranger et qui vivent à l’étranger au moment où elles souhaitent avoir des enfants.

Allison Petrozziello, professeure à l’Université métropolitaine de Toronto, a déclaré ceci :

[...] Depuis 2009, le seul conseil que le gouvernement a pu donner aux Canadiennes pour leur permettre de transmettre leur citoyenneté à leurs enfants est de revenir au Canada en fin de grossesse pour y accoucher. Même pendant la pandémie de COVID-19, même en cas de grossesse à haut risque, même lorsque le couple essaie depuis des années de concevoir un enfant par fécondation in vitro et même lorsque les parents ont accès à une équipe médicale et à l’assurance-maladie dans leur pays de résidence, mais pas ici au Canada. Le projet de loi C-3 promet donc d’éliminer une fois pour toutes la discrimination fondée sur le sexe dans notre Loi sur la citoyenneté et de permettre aux parents canadiens de prendre les décisions en matière de procréation en consultation avec leurs médecins, pas avec le gouvernement.

La disposition relative au lien substantiel est une règle équitable et fondée sur des principes. Elle est également humaine, car elle met l’accent sur les liens réels et démontrés d’une mère avec le Canada plutôt que sur des calendriers rigides qui peuvent pénaliser les familles dont la vie transcende les frontières.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-3 vise à redonner la citoyenneté canadienne à ceux qui en ont été privés. Il établit une norme claire et fondée sur des preuves pour l’avenir. Il préserve l’intégrité de la citoyenneté canadienne en veillant à ce que ce soit le lien — et non la commodité — qui régisse la transmission au-delà de la première génération.

Après l’adoption du projet de loi C-3 par le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le sénateur Arnot a présenté trois observations, qui ont également été appuyées...

[Français]

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Youance, j’ai le regret de vous annoncer que votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Youance : Oui, une minute.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Traduction]

La sénatrice Youance : Merci, Votre Honneur.

(1550)

Avec le projet de loi C-3, nous pouvons remédier à la situation des personnes qui ont perdu la citoyenneté canadienne et moderniser la loi afin qu’elle reflète le mode de vie des Canadiens.

Les Canadiens sont mobiles et se trouvent partout sur la planète, mais nous sommes profondément attachés à notre pays. Je vous exhorte à adopter le projet de loi C-3 afin que la Loi sur la citoyenneté canadienne reflète mieux la réalité moderne.

Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable David Arnot : Honorables sénateurs, je n’ai pas l’intention de retarder l’adoption de ce projet de loi. Le délai imposé par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Bjorkquist est réel, et les conséquences de son non-respect sont graves. Cependant, même en respectant la date d’échéance fixée par la cour, le Parlement, en corrigeant des iniquités de longue date, a l’obligation de veiller à ne pas en créer de nouvelles par inadvertance.

C’est dans cet esprit que je souhaite parler d’une préoccupation centrale : le traitement inéquitable, en vertu du projet de loi C-3, des personnes adoptées à l’étranger. Il s’agit d’enfants introduits dans des familles canadiennes dans le cadre d’un processus d’adoption long et très rigoureux, des enfants auxquels le Canada, conformément à la Convention de La Haye, est tenu d’accorder le même statut que celui accordé aux enfants canadiens adoptés au pays. Pourtant, le projet de loi C-3 risque de créer de nouveaux obstacles qui touchent injustement et uniquement sur ce groupe.

Le projet de loi C-3 s’applique aux enfants nés à l’étranger de parents canadiens, aux enfants adoptés à l’étranger par des Canadiens vivant à l’étranger et, surtout — même si c’est problématique —, aux enfants adoptés à l’étranger.

Il est important de souligner que l’expression « adoption internationale » désigne toute adoption dont l’enfant et les parents adoptifs proviennent de pays différents. Fait important, l’expression « adoption internationale » a également un sens juridique. Elle est utilisée en droit canadien et international pour décrire le processus d’adoption d’un enfant d’un autre pays dans le cadre du système juridique transfrontalier officiel, dans lequel s’inscrit la Convention de La Haye.

Dans une lettre récente, des fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ont apporté des précisions essentielles, surtout sur le fait que les enfants nés à l’étranger de parents canadiens vivant à l’étranger, soit le groupe 1, et les enfants adoptés à l’étranger par des Canadiens vivant à l’étranger, soit le groupe 2, peuvent obtenir la citoyenneté en vertu de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, même s’ils n’ont jamais vécu au Canada. Leurs parents n’ont pas besoin de résider au Canada après l’adoption, et leur adoption n’a pas besoin d’être reconnue par une autorité provinciale. La citoyenneté est accordée directement.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a également confirmé que l’article 5.1, qui a été créé dans la foulée de l’affaire McKenna en 1998 et qui a été interprété dans le cadre de l’affaire Worthington en 2008, visait à garantir l’égalité entre les enfants nés à l’étranger et les enfants adoptés à l’étranger, et non à créer de nouvelles distinctions. Enfin, le ministère a souligné que le projet de loi C-3 applique le critère du lien substantiel de la même manière aux enfants nés à l’étranger et aux enfants adoptés à l’étranger.

Cependant, chers collègues, un libellé identique ne produit pas toujours des résultats identiques, et c’est là que surgissent les préoccupations concernant les personnes adoptées à l’étranger. Les précisions apportées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada révèlent qu’il faut reconnaître trois groupes distincts.

Le groupe 1 : les enfants nés à l’étranger de parents canadiens vivant à l’étranger, qui pourraient ne jamais résider au Canada, mais qui acquièrent et transmettent néanmoins la citoyenneté si leurs parents satisfont à l’exigence des 1 095 jours. Le groupe 2 : les enfants adoptés à l’étranger par des Canadiens vivant à l’étranger, qui, eux aussi, pourraient ne jamais vivre au Canada, mais qui se voient accorder directement la citoyenneté. Finalement, le groupe 3 : les enfants adoptés à l’étranger. Il s’agit d’enfants adoptés par des citoyens canadiens vivant au Canada. Ils sont, en fait et en droit, adoptés au Canada. Leur adoption doit être autorisée et supervisée en vertu des lois provinciales et territoriales. Ils sont soumis aux mesures de protection prévues dans la Convention de La Haye. Ils n’entrent au Canada qu’après avoir obtenu l’approbation du gouvernement fédéral et sont élevés au Canada, souvent dès leur plus jeune âge, comme des membres à part entière de la société canadienne.

Pourtant, à des fins de transmission de la citoyenneté, le projet de loi C-3 les traite malheureusement comme s’ils appartenaient au groupe 1 ou 2, c’est-à-dire comme des enfants qui pourraient ne jamais vivre au Canada. En ce qui concerne les enfants adoptés à l’étranger, l’application du critère du lien substantiel est fondamentalement inéquitable, et c’est là le nœud du problème.

Si vous devez retenir une seule chose de mon discours d’aujourd’hui, que ce soit ceci : les enfants adoptés à l’étranger doivent être traités de la même manière que les enfants adoptés au Canada. La Convention de La Haye exige que les enfants adoptés à l’étranger jouissent des mêmes droits et du même traitement que les enfants adoptés au pays.

Autrement dit, étant donné que les enfants adoptés au Canada ne doivent pas satisfaire à un critère de lien substantiel, il en va de même pour les enfants adoptés à l’étranger. C’est cette exigence dans le projet de loi qui constitue un obstacle qui est interdit par la Convention de La Haye.

Réfléchissons à ceci : aucun groupe de citoyens canadiens n’est soumis à un processus de vérification aussi rigoureux et complexe avant d’entrer au Canada que celui des enfants adoptés à l’étranger. Ces enfants sont soumis aux tests suivants : approbation provinciale et territoriale, surveillance provinciale de la protection de l’enfance, approbation de l’État étranger, évaluations de l’intérêt supérieur, mesures de protection contre la traite des personnes, examen de conformité à la Convention de La Haye, examen fédéral de citoyenneté et confirmation que l’adoption est authentique et qu’elle n’a pas été demandée dans l’unique but d’obtenir la citoyenneté.

Des témoins ont déclaré devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qu’il s’agissait d’un processus intégré. Une ordonnance d’adoption déclenche l’envoi d’une « lettre de non-opposition » par la province, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada autorise l’enfant à entrer au Canada.

Comme l’a déclaré une témoin : « [...] si Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada estime que nous ne respectons pas la loi, je n’aurai pas de fils. »

Malgré tout cela, le projet de loi C-3 exige que ces personnes adoptées — des enfants qui grandissent ici au Canada, qui fréquentent les écoles canadiennes et dont la vie se déroule au Canada — prouvent à nouveau qu’elles ont un lien substantiel avec le pays même qui les a adoptées. C’est une anomalie absurde.

Les témoins ont décrit cela comme une forme de double contrôle et, de façon plus douloureuse encore, comme une remise en question de la légitimité du statut de citoyen canadien de l’enfant adopté. Une mère l’a exprimé ainsi : demander à un enfant adopté à l’étranger « [...] de prouver qu’il est lié à la nation qui l’a adopté revient à lui demander qui sont ses vrais parents ».

Ce projet de loi soulève des questions de droit constitutionnel et international pour les personnes adoptées à l’étranger. Cela comprend le droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte. Les personnes adoptées à l’étranger doivent composer avec des répercussions discriminatoires en raison de leur pays de naissance, de leur parcours d’adoption, de leur représentation disproportionnée parmi les enfants racialisés et de leur mobilité potentiellement réduite en raison de traumatismes ou de besoins médicaux. Ces personnes sont traitées différemment des enfants adoptés au pays, malgré la garantie d’égalité de traitement prévue par la Convention de La Haye.

Cela comprend également le droit à la mobilité garanti par l’article 6 de la Charte. Le critère du lien substantiel limite la mobilité future des enfants adoptés, qui pourraient ne pas être en mesure d’accumuler 1 095 jours au Canada pendant qu’ils sont encore jeunes.

Cela comprend ensuite le droit à la sécurité de la personne, garanti par l’article 7 de la Charte. Les témoins ont expliqué que le fait de limiter la capacité d’un enfant adopté à transmettre sa citoyenneté menace l’unité familiale et la sécurité future.

Enfin, cela soulève des questions de droit international. En vertu de la Convention de La Haye, le Canada doit veiller à ce que les personnes adoptées à l’étranger aient les mêmes droits que les personnes adoptées au pays, lesquelles obtiennent automatiquement la citoyenneté pleine et transmissible. Or, le projet de loi C-3 viole ce principe.

Les témoins ont déclaré sans ambages que le Canada ne respectait pas la Convention de La Haye depuis 2009. Il s’agit là d’une allégation grave qui mérite d’être examinée avec sérieux, mais nous n’avons pas eu le temps de le faire.

Le gouvernement a présenté un énoncé concernant la Charte. Celui-ci indique que le projet de loi est constitutionnel.

(1600)

Ici, il faut être clair et précis et dire que cet énoncé concernant la Charte est lacunaire. En voici les lacunes : premièrement, il ne traite pas du tout des adoptés interpays; deuxièmement, il propose une analyse incomplète concernant l’égalité; troisièmement, il ne tient pas compte de la Convention de La Haye ni de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant; quatrièmement, il ne traite pas des preuves des effets néfastes présentées lundi soir par des familles canadiennes devant le Comité des affaires sociales; cinquièmement, le travail du comité comble donc les lacunes constitutionnelles que cet énoncé concernant la Charte laisse subsister.

Certains ont fait valoir que le temps manque pour apporter des modifications. C’est vrai, mais le Parlement peut quand même consigner ses préoccupations au compte rendu et s’engager à apporter des corrections à l’avenir. En effet, des témoins nous ont rappelé que c’est précisément ce qui s’est produit en 2009. En 2009, à un moment où les contraintes de temps étaient comparables, le Sénat a adopté le projet de loi C-37 malgré des préoccupations concernant la rigidité et l’équité. Le Sénat a néanmoins consigné de sévères observations dans le compte rendu, et ces avertissements ont ensuite été cités dans le cadre de contestations fondées sur la Charte. Nous pouvons et devons suivre cet exemple.

Le Comité des affaires sociales a entendu les témoignages extraordinaires de Mme Katherine Lanteigne et de M. Graeme Ball, parents adoptifs de Nathanael, âgé de 10 ans. Leurs témoignages ont clarifié certaines réalités juridiques essentielles. Premièrement, il est illégal d’adopter un enfant à l’étranger dans le cadre d’une adoption internationale si les parents ne résident pas au Canada. Deuxièmement, il est important de s’appuyer sur la définition juridique de l’adoption internationale, plutôt que sa définition générale. J’y ai fait référence à dessein. Dans son sens juridique, l’adoption internationale est un processus précis et strictement régi par la Convention de La Haye. Troisièmement, les enfants adoptés à l’étranger ne sont pas des immigrants. D’ailleurs, leur statut est déterminé par le droit de l’adoption, et non le droit de l’immigration. Quatrièmement, les explications publiques d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ont parfois brouillé ces distinctions, créant de la confusion pour les décideurs politiques.

Les témoins ont décrit au Comité des affaires sociales les traumatismes, l’altérité raciale et les dommages durables qui surviennent lorsque les enfants adoptés ne sont pas traités comme des Canadiens à part entière. Ils ont clairement indiqué que, si le projet de loi C-3 est adopté tel quel, comme il le sera aujourd’hui, ils invoqueraient la Charte pour le contester devant les tribunaux, au nom de leur fils. Ils ont retenu les services d’avocats en droit constitutionnel expérimentés, y compris le professeur Sujit Choudhry, qui a déjà plaidé avec succès l’affaire Bjorkquist devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Ils nous ont rappelé que le non-respect par le Canada de la Convention de La Haye n’aura pas seulement des conséquences théoriques; il risque de nuire à la réputation du Canada auprès des pays partenaires qui comptent sur lui pour suivre à la lettre la convention.

Les témoignages rendus par Mme Lanteigne et M. Ball étaient percutants, émouvants, profondément personnels et fondés sur le droit. Ils doivent éclairer nos délibérations.

Étant donné que la déclaration d’invalidité n’est suspendue que jusqu’au 20 janvier 2026, le Sénat ne peut raisonnablement pas amender le projet de loi sans risquer de créer un vide législatif. Nous ne pouvons pas permettre une situation où aucune règle de transmission de la citoyenneté ne s’applique. Toutefois, nous pouvons et nous devons exprimer clairement nos préoccupations : premièrement, les adoptés interpays constituent une catégorie distincte et particulièrement vulnérable d’enfants canadiens; deuxièmement, le projet de loi C-3 constitue une violation claire et sans ambiguïté des articles 15, 6 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’une violation de la Convention de La Haye telle qu’elle s’applique à ces enfants; troisièmement, le Parlement n’a jamais eu l’intention de rendre leur citoyenneté conditionnelle ou moins transmissible; et, quatrièmement, de futures mesures législatives devraient inclure une modification ciblée et restreinte, telle que le traitement des adoptés interpays qui ont grandi au Canada comme des « citoyens autrement que par filiation » — un terme juridique —, comme le fait le Royaume-Uni, afin de remédier à ces violations.

Il s’agit d’une modification législative simple qui corrigerait la situation. C’est un amendement que j’aurais proposé si j’avais eu plus de temps.

Je note également avec espoir que la ministre, Mme Metlege Diab, a accepté de rencontrer des représentants des adoptés interpays, notamment Mme Lanteigne et M. Ball. Il s’agit là d’une avancée que j’encourage, car j’espère qu’une solution législative sera trouvée, la seule voie possible pour régler la question.

Chers collègues, je tiens à remercier la sénatrice Coyle, qui est la marraine du projet de loi, la sénatrice Youance, qui a lu le discours de la sénatrice Coyle, la sénatrice Moodie, qui est la présidente du Comité des affaires sociales, la sénatrice Osler, qui est la vice-présidente...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Arnot, votre temps de parole est écoulé. Je vais demander à vos honorables collègues s’ils vous accordent plus de temps.

Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Arnot : Je voulais simplement mentionner tous les membres du Comité des affaires sociales qui se sont penchés sur cette question et qui ont appuyé les trois observations.

La citoyenneté, c’est plus qu’un statut juridique, c’est une déclaration d’appartenance. Lorsque des parents canadiens adoptent un enfant de l’étranger, ils ne lui disent pas : « Tu es Canadien, mais seulement à certaines conditions. » Ils lui disent : « Tu es notre enfant. »

Le projet de loi C-3 permet au Canada de corriger les injustices subies par les Canadiens dépossédés de leur citoyenneté, et pour cette raison, il mérite notre appui, mais il risque également de créer une nouvelle génération de Canadiens qui se heurteront à des obstacles qu’aucun autre enfant canadien n’a à surmonter, car, même pour certains enfants dont les liens d’appartenance au Canada ont déjà été mieux démontrés que pour n’importe quel autre citoyen canadien, il faudra de nouveau fournir des preuves de cette appartenance.

Adoptons ce projet de loi pour respecter l’échéance de la cour, mais tâchons également de dire les choses clairement, comme le Sénat l’a fait en 2009, afin que les parlementaires des futures législatures puissent terminer le travail de façon à ce que les personnes adoptées à l’étranger ne puissent jamais devenir la prochaine génération de Canadiens dépossédés de leur citoyenneté.

Merci, honorables collègues.

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je serai très bref. J’aurais voulu poser une question au sénateur Arnot, mais nous avons manqué de temps.

Je ne comprends pas comment nous avons pu recevoir un projet de loi lundi — selon nos règles, nous disposions en fait de temps supplémentaire pour les comités, qui n’a pas été utilisé — et en être là aujourd’hui. Il reste trois semaines avant la fin de nos travaux pour l’année, et vous nous dites qu’on vous a informé que nous n’avions pas assez de temps pour faire notre travail. C’est pourtant notre travail. Pourquoi? Monsieur, à quel point serez-vous contrarié si nous adoptons cet amendement — et nous allons proposer un amendement —, nous renvoyons le projet de loi et vous n’obtenez pas le résultat que vous souhaitiez?

Je suis choqué que l’on puisse maintenant affirmer que nous n’avons pas le temps de nous occuper de cette question. C’est vraiment déplorable.

Je vous remercie pour vos observations et votre passion à ce sujet. Si nous recevions cinq cents chaque fois qu’un ministre nous demande de ne pas modifier un projet de loi pour quelque raison que ce soit, nous serions riches.

Sénateur Arnot, je suis triste pour vous; vous êtes un membre estimé et un contributeur important du Sénat. J’aimerais que vous puissiez faire apparaître un amendement de notre pupitre dès maintenant, car nous allons étudier des amendements. Je ne sais pas si c’est possible, mais peut-être bien. Je ne sais pas de quel amendement nous serons saisis, mais si nous l’adoptons, le ministre pourrait prendre la parole et présenter l’amendement que vous auriez dû présenter ici. Je vous remercie.

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole pour le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté.

Normalement, je commencerais par rappeler les détails du projet de loi, mais étant donné qu’un peu moins de deux semaines se sont écoulées depuis mon intervention précédente, je vais plutôt commencer par l’historique législatif qui nous a menés là où nous en sommes.

(1610)

Remontons 21 ans en arrière, en 2004, à la troisième session de la 37e législature, où le sénateur Noël Kinsella a présenté le projet de loi S-17 afin de remédier aux cas de personnes qui avaient involontairement perdu leur citoyenneté canadienne en raison de dispositions obsolètes de la loi de 1947.

Le projet de loi, adopté à l’unanimité par le Sénat, est mort au Feuilleton à l’autre endroit. Son contenu a été repris lors de la législature suivante sous la forme du projet de loi S-2, qui a reçu la sanction royale en 2005 et est devenu l’une des premières mesures, impulsées par le Sénat, visant à rétablir le statut des personnes injustement exclues en vertu des lois antérieures.

S’appuyant sur ces fondements, le projet de loi C-37 de 2008 a permis de traiter de nombreux cas restants et a introduit la limite de la première génération, dans le but de trouver un équilibre entre l’équité et l’inclusion, d’une part, et la nécessité de préserver la valeur de la citoyenneté canadienne et d’éviter le phénomène des citoyens par opportunisme, d’autre part.

D’autres modifications techniques ont été apportées plus tard grâce au projet de loi C-24, et le projet de loi S-245 de la dernière législature visait à apporter une solution ciblée aux familles servant le Canada à l’étranger.

Le projet de loi C-3 dont nous sommes saisis aujourd’hui vise non seulement à combler les lacunes relevées dans la décision Bjorkquist pour les personnes qui ont perdu la citoyenneté canadienne, mais redéfinit également la citoyenneté par filiation au pays.

Il est important de reconnaître que c’est le Sénat, constituée à la fois du caucus du gouvernement et du caucus de l’opposition qui sont chacun liés à des partis nationaux, qui a d’abord mis en branle les efforts visant à remédier à ces iniquités. C’est le second examen objectif du Sénat, conjugué à la capacité des sénateurs de faire valoir les dossiers négligés au sein de leurs caucus, qui a ouvert le bal. Grâce à une étude minutieuse, à un plaidoyer fondé sur des principes et à une collaboration entre les partis, le Sénat a joué un rôle décisif en incitant le Parlement à agir.

Dans cette optique, chers collègues, il est préoccupant que nous soyons saisis d’un projet de loi aussi important, qui redéfinit la citoyenneté par filiation et traite des droits des Canadiens dépossédés de leur citoyenneté, depuis moins de deux semaines. Chers collègues, comme l’a souligné le sénateur Tannas, si l’on exclut la semaine de pause, cela ne représente que quelques heures et quelques jours.

Peu de questions et de projets de loi ont autant besoin de notre second regard objectif que la question de la citoyenneté dans notre pays. Depuis les premières tentatives du sénateur Kinsella jusqu’aux efforts du gouvernement Harper de trouver le juste équilibre, le Parlement a toujours abordé ce dossier avec un soin diligent.

Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Le gouvernement s’appuie sur un échéancier imposé par les tribunaux pour précipiter les délibérations sur le projet de loi C-3 et, ni plus ni moins, pour passer outre au second examen objectif. Au lieu de permettre aux sénateurs de soumettre la Loi sur la citoyenneté et les possibles conséquences du projet de loi C-3 sur les Canadiens et les générations à venir à un second examen objectif, on insiste pour que nous respections un échéancier. Il s’agit pourtant de notre citoyenneté, donc de la question la plus fondamentale qui soit.

L’incarnation précédente de cette mesure législative, le projet de loi C-71, nous avait placés dans la même situation l’an dernier, puisque le comité avait pu entendre seulement quatre groupes de témoins. Comment affirmer avec certitude que nous avons procédé à un second examen objectif dans ce genre de conditions?

Il est important de rappeler encore une fois que, le 6 novembre, le gouvernement a représenté une motion à laquelle nous avons alors donné notre appui parce que le délai fixé par les tribunaux était le 20 novembre. Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, nous avons soutenu cette motion de procédure parce que nous voulions respecter le délai établi par les tribunaux. Sauf que, le 12 novembre, la Cour supérieure de l’Ontario a accordé un sursis de deux mois, soit jusqu’au 20 janvier. Miracle, la crise s’est évaporée, une crise — nous pouvons maintenant le confirmer — entièrement due à l’opportunisme politique du gouvernement.

À ce moment-là, chers collègues, en se fondant sur les renseignements à leur disposition, les leaders se sont réunis et ils ont conclu un marché. Comme nous formons une opposition responsable, nous allons honorer ce marché.

En même temps, nous avons reçu un nombre très limité de projets de loi du gouvernement depuis le début de la législature actuelle. En dehors des projets de loi obligatoires portant sur les crédits, le Sénat a traité exactement quatre projets de loi du gouvernement depuis le mois de mai. C’est une situation sans précédent après une élection générale, alors que le gouvernement a clairement pour mandat d’être un agent de transformation pour les générations futures. Bref, depuis le mois de mai, chers collègues, nous n’avons reçu que les projets de loi C-5, lié au discours du Trône, et les projets de loi S-2, C-3 et S-3, dont le débat vient de commencer.

C’est là toute l’ambition législative du gouvernement à ce jour. Après 34 jours de séance depuis l’ouverture du Parlement, un seul projet de loi du gouvernement a reçu la sanction royale. Si cela continue, les Canadiens commenceront à se demander non pas ce que fait le Sénat, mais ce que fait le Parlement.

Bien qu’il prétende avoir un programme ambitieux et bien que tous les comités soient prêts et disposés à examiner des mesures législatives du gouvernement, celui-ci ne semble pas pressé de gouverner ni, à coup sûr, de soumettre sa gouvernance à l’examen minutieux du Parlement. Pourtant, si l’on compte le nombre de jours que le premier ministre consacre à parcourir le pays en jet pour tenter de nous sauver, je crois que cela représente bien plus que 34 jours de séance.

Ce qui apparaît clairement, même à ce stade précoce de la législature, c’est que l’opportunisme politique prime sur tout le reste. Les relations publiques, les séances photo et le temps passé à se regarder le nombril sont plus importants que l’élaboration de mesures législatives.

Aujourd’hui, nous avons reçu le ministre de la Justice. Je lui ai posé des questions très concrètes, mais il n’a cessé de me répondre en évoquant des projets de loi ambitieux à venir. Il n’a pas été en mesure de citer un seul texte législatif traitant des droits des victimes, que ce soit au cours des 34 derniers jours ou des 10 dernières années. Mais il tenait à dire qu’il faut faire confiance au gouvernement, qu’une annonce allait venir. Il y a toujours une annonce à venir.

On nous avait dit que le projet de loi C-5 devait être adopté immédiatement, ce qui pouvait peut-être s’expliquer dans le contexte d’une promesse électorale. Nous l’avons adopté rapidement, avec la collaboration des deux côtés de la Chambre. Malheureusement, les incohérences entre les projets de loi S-2, C-5 et C-3 sont flagrantes.

Dans le cas du projet de loi C-5, le gouvernement avait assuré aux Premières Nations de tout le pays que les consultations pourraient simplement avoir lieu après l’adoption du projet de loi. Le gouvernement avait demandé de lui faire confiance, sa chanson la plus célèbre. Je ne cesse de répéter qu’il faut se méfier de tout politicien éloquent, sans parler de l’évocation de la sacro-sainte confiance.

Pourtant, avec le projet de loi S-2, ce même gouvernement refusait de faire un compromis avec le comité sur les amendements visant à éliminer la règle d’exclusion après la deuxième génération, en insistant soudainement sur le fait que son devoir de consultation est essentiel et de la plus haute importance.

Puis, avec le projet de loi C-3, le gouvernement a une fois de plus changé son fusil d’épaule, exigeant que le Sénat adopte immédiatement le projet de loi visant à éliminer la règle d’exclusion après la deuxième génération dans la Loi sur la citoyenneté, mais uniquement pour les Canadiens nés à l’étranger.

La vérité, chers collègues, c’est que nous avons un gouvernement qui ne souhaite pas respecter le processus parlementaire et un premier ministre qui n’est guère disposé à être présent au Parlement ou à remplir le mandat que lui ont confié les Canadiens de manière transparente et en consultation avec nous dans le cadre de notre rôle en tant que parlementaires.

En ce qui concerne le contenu du projet de loi, en tant que parlementaires, nous avons le devoir de faire respecter la valeur intrinsèque de la citoyenneté canadienne et de veiller à ce que les liens importants demeurent au cœur de la citoyenneté. Toute modification de la loi doit être claire, cohérente et facile à appliquer, non seulement pour les éventuels citoyens, mais aussi pour les fonctionnaires chargés de l’application de la loi. C’est exactement ce dont il a été question au cours de la dernière réunion du comité, lundi soir.

Et ce n’est pas la première fois. En 2008, dans le cadre de son étude du projet de loi C-37, le même comité a fait remarquer que le gouvernement devrait réécrire la Loi sur la citoyenneté afin de la rendre plus claire et plus facile à appliquer par les fonctionnaires qui en sont chargés. Cette responsabilité nous incombe, chers collègues.

C’est pourquoi les amendements adoptés par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes étaient si importants, dont deux qui, à mon avis, étaient les plus importants. En exigeant que les 1 095 jours soient compris dans une période de cinq ans, il a veillé à ce que le critère du lien substantiel illustre réellement un lien important au Canada, tout en adoptant des exigences identiques pour la citoyenneté par naturalisation et par filiation.

En outre, en étendant les exigences en matière de langue et de sécurité à la citoyenneté par filiation et aux enfants adoptés, les amendements ont renforcé l’intégration et la sécurité nationale. Enfin, en instaurant l’obligation de présenter un rapport annuel au Parlement, les amendements ont assuré la transparence et la surveillance des répercussions réelles des réformes.

Ces amendements constituaient une étape constructive pour améliorer la clarté et la cohérence de la Loi sur la citoyenneté. Toutefois, ils soulignent également une préoccupation plus large qui ne peut être ignorée, à savoir que le gouvernement doit faire preuve d’une véritable transparence et doit rendre de vrais comptes. C’est une chose que le présent gouvernement a malheureusement tendance à reléguer au second plan. Selon moi, le premier des deux amendements était le plus important.

Au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, un amendement simple, mais essentiel proposé par le député Brad Redekopp a été adopté. Cet amendement n’ajoutait aucune formalité administrative et ne modifiait en rien la portée du projet de loi. Il obligeait uniquement le ministre à déposer à la fin de chaque exercice un rapport devant les deux Chambres du Parlement indiquant le nombre de personnes ayant obtenu la citoyenneté en raison de l’entrée en vigueur de cette mesure législative, ainsi que leur pays de citoyenneté autre que le Canada, le cas échéant, leur dernier pays de résidence et les dispositions de la loi en vertu desquelles la citoyenneté a été accordée. C’est tout à fait raisonnable, chers collègues. En bref, il s’agissait d’une mesure de transparence — un outil de surveillance parlementaire — permettant aux Canadiens et à leurs représentants d’évaluer les répercussions réelles d’un changement législatif aussi important.

(1620)

Soyons francs : personne, pas même le ministère, ne peut actuellement dire avec précision combien de personnes deviendront citoyens canadiens à la suite de cette réforme.

Chers collègues, la citoyenneté canadienne ne devrait pas être qu’un simple bout de papier; elle devrait être l’élément d’identité le plus essentiel et le plus précieux de notre pays. La notion de citoyenneté doit être claire et transparente, et le gouvernement ne peut pas la prendre à la légère. Si nous ne disposons pas d’instruments pour déterminer qui se voit accorder cet élément important de notre identité, et comment, que fait le gouvernement?

Je me souviens d’un ancien premier ministre qui, il n’y a pas si longtemps, a fait une publication sur Twitter en disant que le Canada était ouvert — il invitait tout le monde à venir ici librement. Peu après, nous n’arrivions plus gérer les arrivées au chemin Roxham. Nous n’arrivions pas à construire des hôtels assez rapidement à Montréal, à Toronto et partout au pays.

La crise actuelle — le coût de la vie et les pénuries qui frappent le pays — est en grande partie due à ce type de comportement irresponsable.

C’est pourquoi, quand on présente un projet de loi aussi important que celui-ci, il faut pouvoir en quantifier les résultats.

Lors de son témoignage devant notre comité lundi soir, la sous-ministre adjointe a déclaré qu’il était difficile d’estimer le nombre exact de personnes touchées par cette loi. Ce n’est pas moi qui le dis; c’est la sous-ministre adjointe. Elle a plutôt examiné les données de 2009, où un peu plus de 20 000 personnes se sont présentées, et a indiqué que depuis la décision de la cour, de janvier 2024 à juillet 2025, plus de 4 200 demandes avaient été reçues.

La ministre elle-même a confirmé ce manque de données lors de son témoignage devant le Comité de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes. En réponse à une question d’un membre du comité, la ministre Diab a d’abord déclaré qu’elle ne pensait pas que le Canada recueillait des données sur les contrôles à la sortie du territoire, avant de se corriger après un bref échange avec les fonctionnaires qui l’accompagnaient.

Chers collègues, cet épisode illustre également le niveau de confusion qui règne aux échelons supérieurs du ministère quant à la disponibilité et à la fiabilité des données de base nécessaires pour évaluer l’incidence de ce projet de loi. Ce n’est pas parce que le gouvernement n’a pas embauché d’autres fonctionnaires au cours des 10 dernières années; il suffit d’examiner les chiffres.

Lorsqu’on lui a simplement demandé combien de personnes seraient touchées par le projet de loi C-3, la ministre a répondu qu’il est « impossible de connaître le nombre exact ».

Mon observation n’est pas isolée. Andrew Griffith, ancien directeur général d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, a noté dans son mémoire au Comité des affaires sociales que la qualité des données fournies par la ministre et les fonctionnaires était « faible » et que la confusion persistait même sur la simple question de l’existence ou non au Canada de contrôles de sortie. M. Griffith a ajouté qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ne publie qu’un seul ensemble de données sur la citoyenneté sur le site de données ouvertes du gouvernement parmi plus de 100 ensembles de données. Il a qualifié cette situation de « gravement insuffisante » pour un programme d’une telle importance, soulignant que la publication des données sur les demandes de certificat de citoyenneté, la seule mesure pour savoir combien de personnes récupèrent leur citoyenneté, a cessé il y a des années.

Il a conclu que l’amendement du député Redekopp était essentiel pour que l’on puisse rendre des comptes.

En bref, ni le ministère ni la ministre ne peuvent nous dire combien de personnes verront leur statut changer à la suite de cette réforme. La meilleure estimation dont nous disposons vient du directeur parlementaire du budget : sur une période de cinq ans, le projet de loi C-3 pourrait toucher environ 115 000 personnes et coûter des millions de dollars. Pourtant, le gouvernement a choisi de rejeter un amendement qui aurait comblé cette lacune en exigeant la présentation d’un rapport annuel au Parlement.

Cela dit, nous avons affaire à un gouvernement qui considère que le Parlement est un gros désagrément. Il ne faudrait surtout pas laisser le Parlement jouer son rôle de gardien de la transparence.

Dans un tel contexte d’incertitude, le rôle du Parlement n’est pas de signer un chèque en blanc à l’exécutif, mais d’assurer un contrôle rigoureux de la mise en œuvre de la loi. C’est exactement ce que faisait cet amendement : il imposait une mesure de responsabilité raisonnable et conforme aux pratiques démocratiques exemplaires ainsi qu’aux attentes des Canadiens en matière de transparence.

Le deuxième amendement, qui est à mes yeux le plus important, c’est celui qui harmonisait l’exigence qui prévoit 1 095 jours de présence au Canada au cours d’une période de cinq ans pour l’obtention de la citoyenneté par filiation et par naturalisation. Cet amendement a fini par être rejeté par le gouvernement à l’autre endroit, lors de l’étape du rapport.

Aux termes du projet de loi C-3, une personne a seulement besoin d’accumuler 1 095 jours de présence au Canada à n’importe quel moment avant la naissance d’un enfant. Ce n’est pas vraiment un critère très exigeant. Elle peut le faire même plusieurs décennies avant d’avoir cet enfant, ce qui signifie qu’elle n’aura peut-être pas été au Canada pendant 20 ou 30 ans, mais, si elle a accumulé 1 095 jours et qu’elle peut le prouver d’une manière ou d’une autre, le compte est bon.

Selon le gouvernement, trois années passées au Canada à n’importe quel moment constituent un « lien substantiel » avec nos institutions, nos valeurs et notre communauté nationale. Chers collègues, il est logique que la citoyenneté par naturalisation et par filiation repose sur les mêmes critères : 1 095 jours au cours d’une période de cinq ans, ainsi que l’obligation pour les candidats d’avoir entre 18 et 54 ans, de démontrer leur maîtrise de l’une de nos langues officielles et de satisfaire aux normes de sécurité appropriées.

Une plus grande mobilité dans le monde ne nous oblige pas à affaiblir notre cadre de citoyenneté. Elle nous oblige à l’adapter, tout en préservant son intégrité.

Étant donné que le directeur parlementaire du budget et même la ministre elle-même sont incapables de dire combien de personnes seraient touchées par ce projet de loi, il est non seulement raisonnable, mais aussi responsable, de renforcer le critère du lien substantiel.

Lorsque le gouvernement ne peut pas préciser le nombre exact de personnes à laquelle il souhaite conférer automatiquement la citoyenneté, le Parlement est tenu de s’assurer que le cadre est solide, mesuré et défendable. Une exigence de lien plus solide sert de garde-fou contre les conséquences imprévues, préserve l’intégrité de la citoyenneté et nous garantit que tout élargissement de l’accès automatique à la citoyenneté repose sur des données probantes plutôt que sur des conjectures.

En l’absence de données claires, la prudence n’est pas de l’obstruction. Le Sénat est censé être essentiellement une Chambre de second examen objectif, et il devrait agir comme tel.

L’amendement que j’ai mentionné ne visait pas simplement à renforcer l’exigence de lien substantiel prévue dans la Loi sur la citoyenneté, mais aussi à en simplifier l’application. Le comité a entendu le témoignage d’Amandeep Hayer, qui représentait l’Association du Barreau canadien et qui nous a recommandé de cesser d’utiliser un langage complexe. Selon lui, nous devrions adopter une mesure législative très simple, cohérente et facile à comprendre.

Par ailleurs, recueillir les preuves des entrées et sorties d’une personne sur une période de 10, 20 ou 30 ans afin de documenter 1 095 jours de présence pourrait créer un fardeau administratif presque impossible à assumer. Imaginez un instant, chers collègues, le fardeau administratif que représenterait le suivi des entrées et des sorties pendant 25 ou 30 ans, pour des séjours de quelques mois ou quelques semaines, etc. Imaginez la situation. Nous avons déjà assez de mal à percevoir les impôts de manière efficace ou à suivre le nombre de personnes dans le monde qui n’en paient pas. Percy Downe pourrait nous entretenir sur la grande efficacité de l’Agence du revenu du Canada dans ce domaine.

Comment Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada s’en sortira-t-il s’il doit faire un tel suivi pendant 20 ou 30 ans?

Nous entendons parler de cas où des personnes ou des familles ont reçu l’ordre de quitter le pays en raison d’erreurs administratives. Nous avons lu l’histoire de Diana Calderón, qui a été rapportée par la CBC.

Je serai clair, chers collègues : je ne dis pas que c’est la faute des fonctionnaires du ministère, loin de là. Le gouvernement a présenté le projet de loi C-3, il a ajouté un nouveau critère qui s’applique pendant on ne sait trop combien de temps avant la naissance d’un enfant et il a laissé aux fonctionnaires se débrouiller. Or, il vient un temps où les parlementaires doivent aider les fonctionnaires à servir les Canadiens. C’est notre devoir. Nous avons le devoir de faire en sorte que ce projet de loi et que les services que la fonction publique est tenue d’offrir au public sont à la fois rationnels et pratiques.

Cette politique ayant été circonscrite à une période de cinq ans, comme la naturalisation, le ministère dispose déjà du savoir-faire nécessaire pour la mettre en œuvre. C’est logique, mais encore une fois, le gouvernement a décidé qu’il savait mieux faire les choses que le comité : il confie la mise en œuvre de cette politique à la fonction publique. Il lui demande de se débrouiller.

Ces amendements auraient été une première étape en vue de la simplification d’une loi d’une complexité déjà excessive. D’ailleurs, cette volonté de la simplifier ne date pas d’hier. En 2009, pendant l’étude du projet de loi C-37, le Comité des affaires sociales réclamait déjà la complète réécriture de la Loi sur l’immigration afin de la rendre plus claire et plus facile à appliquer. Avec le projet de loi C-3 et les amendements judicieux ayant été adoptés à l’autre endroit, nous avions finalement l’occasion de nous rapprocher de cet objectif. Le rapport du comité sur le projet de loi C-3 abordait aussi cette question :

Votre Comité observe que la Loi sur la citoyenneté est devenue de plus en plus complexe et difficile à comprendre pour les citoyens. Compte tenu des nombreuses modifications fragmentaires apportées au fil des décennies, la Loi bénéficierait d’une modernisation complète, notamment par l’adoption de principes de rédaction en langage clair.

Une telle modernisation faciliterait la compréhension du public, réduirait les charges administratives et garantirait que les citoyens puissent mieux connaître et exercer leurs droits et responsabilités en matière de citoyenneté.

(1630)

Malheureusement, cette possibilité a été délibérément supprimée quand le projet de loi a été rétabli dans sa forme initiale au stade du rapport. À ce moment-là, tous les efforts déployés par le comité de l’autre endroit pour renforcer le projet de loi ont été rejetés d’un simple trait de plume.

Et ce qui rend tout cela encore plus troublant, c’est que cela s’est produit au tout début de la présente législature. Au cours des premiers mois, alors que le gouvernement devrait donner le ton en présentant des projets de loi cohérents et mûrement réfléchis, nous assistons plutôt à une désorganisation et à une indifférence totale à l’égard du Parlement. Si c’est ainsi que commence la session, il y a lieu de se demander : est-ce là le ton auquel les Canadiens doivent s’attendre pour la 45e législature?

Ce que cette séquence révèle, c’est un schéma troublant : il y a urgence quand cela arrange le discours politique du gouvernement, et on retarde les choses quand le Parlement cherche à régler des injustices que le gouvernement a décidé de ne pas considérer comme prioritaires. On nous a dit que le Sénat devait agir à une vitesse sans précédent pour permettre au gouvernement de respecter une échéance qu’il disait impossible à repousser. Pourtant, la semaine dernière, ce même gouvernement a discrètement obtenu un sursis. Le Parlement n’en a pas été informé, les sénateurs ont agi de bonne foi, et voilà où nous en sommes, chers collègues. Ce n’est pas ainsi qu’un gouvernement responsable devrait travailler avec la Chambre de second examen objectif, surtout lorsque celle-ci a démontré sa volonté d’être responsable et transparente, d’un côté comme de l’autre. Cela mine la confiance dans le processus et affaiblit la surveillance exercée par le Parlement. La prochaine fois que le gouvernement aura une échéance à respecter, sera-t-elle réelle, ou bien le gouvernement la modifiera-t-il à la dernière minute après que le Sénat aura agi de bonne foi?

En conclusion de nos délibérations sur le projet de loi C-3, la citoyenneté est l’un des statuts juridiques les plus importants que notre pays confère. Notre responsabilité est double : faire en sorte de résoudre les injustices de longue date auxquelles sont confrontés les Canadiens dépossédés de leur citoyenneté, et préserver la cohérence, l’intégrité et la signification de la citoyenneté canadienne pour les générations à venir.

Bien que nous ayons eu très peu de temps pour examiner le projet de loi C-3, je me dois de parler de l’amendement plein de bon sens adopté par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, amendement qui visait à exiger, pour la citoyenneté par filiation, 1 095 jours de présence sur une période de cinq ans, comme on le fait pour la naturalisation. Andrew Griffith a fait la même recommandation devant le Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il est logique, chers collègues, d’au moins clarifier le libellé, ajouter une certaine uniformité et renforcer la protection de la citoyenneté canadienne.

Voici ce que Andrew Griffith a dit au comité lundi soir au sujet de la complexité de la loi :

[...] Cela répondait à mes principales préoccupations concernant la difficulté pour les demandeurs et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada d’administrer le projet de loi C-3, tout en créant un critère de lien plus solide. Le délai de traitement des preuves de citoyenneté est déjà passé de cinq à neuf mois avant même la mise en œuvre du projet de loi C-3. À mon avis, il serait irresponsable d’imposer à un ministère qui a déjà du mal à respecter les normes de service une charge administrative supplémentaire pour déterminer si une personne a cumulé 1 095 jours de résidence non pas pendant une période de 5 ans, mais au cours de sa vie.

Par conséquent, chers collègues, je propose que le projet de loi C-3 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 1 :

a) à la page 3, par substitution, à la ligne 40, de ce qui suit :

« quinze jours au cours d’une période quelconque de cinq années consécutives avant la naissance; »;

b) à la page 4, par substitution, à la ligne 30, de ce qui suit :

« quinze jours au cours d’une période quelconque de cinq années consécutives avant la naissance. ».

Honorables collègues, je pense qu’il s’agit d’un amendement raisonnable. Il apporte intégrité et transparence au processus. Cela nous donnera une chance d’atteindre l’objectif du projet de loi, car autrement, ce sera difficilement gérable pour la fonction publique.

Même si nous n’avons pas pu adopter d’autres amendements qui renforceraient également ce projet de loi — et j’ai écouté très attentivement le discours du sénateur Arnot, qui a soulevé nombre de bons points dont on devrait tenir compte, mais ce sera malheureusement impossible —, il s’agit d’un élément clé des quatre ou cinq amendements que nous pouvons étudier. Nous devrions renvoyer ce projet de loi, et je crois que sans cet amendement, ce projet de loi n’a aucune chance de survivre. Je pense que ce projet de loi serait inapplicable. L’administration d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada aurait de la difficulté à s’y retrouver. Ce serait un échec pour tous les Canadiens dépossédés de leur citoyenneté qui méritent vraiment de se voir accorder la citoyenneté canadienne, mais cela doit se faire de manière juste et équilibrée.

Je propose cet amendement. J’espère que vous le soutiendrez. Je rappelle aux sénateurs que, au bout du compte, ce sera à la Chambre élue et au gouvernement élu de se prononcer sur tous ces amendements, mais je pense qu’il nous incombe de faire la lumière là où règne actuellement l’obscurité et de faire pression, même si le gouvernement s’est montré peu enclin à accepter des suggestions sensées et raisonnables. Je pense que l’amendement est ce genre de suggestion, et j’espère que vous l’approuverez. Merci, chers collègues.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-3 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 1 :

a) à la page 3, par substitution, à la ligne 40, de ce qui suit :

« quinze jours au cours d’une période quelconque de cinq années consécutives avant la naissance; »;

b) à la page 4, par substitution, à la ligne 30, de ce qui suit :

« quinze jours au cours d’une période quelconque de cinq années consécutives avant la naissance. ».

[Français]

L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Est-ce que le sénateur Housakos accepterait de répondre à une question sur son amendement?

Le sénateur Housakos : Oui.

Le sénateur Moreau : Je ne reviendrai pas sur le discours du sénateur Housakos, car il y a beaucoup d’éléments dans son discours sur lesquels je suis en désaccord.

J’ai cependant bien entendu qu’un des éléments principaux est que le sénateur souhaite clarifier le langage utilisé et la précision du projet de loi. Comment se fait-il alors que les versions anglaise et française de l’amendement ne coïncident pas, et que la version anglaise prévoit un délai de 1 095 jours durant la période et que la version française prévoit un délai de 15 jours? Seriez-vous plus favorable aux francophones ou aux anglophones dans l’acquisition de la citoyenneté canadienne, monsieur le sénateur?

Le sénateur Housakos : Je vous remercie pour la question.

Les gens qui me connaissent bien savent que les Canadiens anglais et les Canadiens français sont égaux à mes yeux. J’imagine que c’est seulement une faute de frappe qui pourra être corrigée assez rapidement —

Son Honneur la Présidente : Sénateur Housakos, si vous me le permettez, je vais intervenir.

Habituellement, les lignes ne coïncident pas nécessairement, mais quand on lit les textes de manière comparative, les deux versions sont semblables. Il faut que vous vous référiez au plein texte pour faire la comparaison.

Je voulais vous corriger, sénateur Housakos, ce n’est pas une erreur.

Le sénateur Housakos : J’imagine que le leader du gouvernement a reçu une version qui ne correspond pas à ce qui a été présenté dans cette Chambre; cela arrive de temps en temps.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Est-ce que vous accepteriez de répondre à une autre question? Merci.

Je note que, dans le texte français, à la ligne précédente, c’est 1 080, donc il manquait le nombre 95, qui est sur la ligne suivante.

Votre groupe a proposé à la Chambre des communes un amendement qui avait les trois volets suivants : trois ans de résidence au Canada pendant les cinq dernières années avant la naissance, connaissance d’une des deux langues officielles et réussite d’un contrôle de sécurité.

Dois-je comprendre qu’aujourd’hui, votre groupe estime qu’il n’est plus nécessaire de réussir un contrôle de sécurité et de connaître une des deux langues officielles?

Le sénateur Housakos : Sénateur Dalphond, juste pour faire une précision, je parle de 1 095 jours pendant 5 ans, pas 10 ans, pas 30 ans, pas plus, pas moins. C’est très clair et cela se trouve dans l’amendement.

Je tiens aussi pour acquis que, depuis plusieurs années, l’une des caractéristiques importantes en matière d’immigration et de citoyenneté est de respecter les langues officielles du Canada. Il y a un système de pointage pour les candidats qui parlent le français ou l’anglais, particulièrement dans le cas du français. Le Québec a une entente avec le gouvernement du Québec sur l’immigration qu’il faut respecter.

Chaque personne qui pose sa candidature pour immigrer au Canada ou obtenir sa citoyenneté doit absolument respecter un système de sécurité. Cela n’est pas dans mon amendement, mais cet élément existe dans l’immigration et on le tient pour acquis.

Mon amendement vise plus particulièrement à changer un principe dans le projet de loi selon lequel une personne doit rester au Canada pendant 1 095 jours, mais pendant une période indéfinie ou qui n’est pas définie clairement. Je veux une définition claire, soit 1 095 jours au cours des cinq dernières années.

Enfin, tous les autres éléments qui se trouvent dans le projet de loi seront respectés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. En ce qui concerne le bilinguisme et la vérification sécuritaire, personne ne veut changer cela; ce n’est pas un enjeu, sénateur.

(1640)

Le sénateur Dalphond : Selon les transcriptions des débats au comité, vos collègues à la Chambre des communes ont beaucoup insisté sur le fait qu’il n’était pas acceptable qu’une personne née à l’extérieur du Canada et qui a vécu au Canada 1 095 jours ne prouve pas qu’elle maîtrise le français ou l’anglais et qu’elle ne passe pas des tests portant sur sa connaissance de la culture canadienne ni un test de sécurité. L’amendement que vous proposez aujourd’hui est beaucoup plus limité que celui de vos collègues de la Chambre des communes. Dois-je en conclure que vous êtes en désaccord avec vos collègues de la Chambre des communes et que vous trouvez qu’ils en demandaient trop? Aujourd’hui, vous êtes plus raisonnable et vous en demandez moins?

Le sénateur Housakos : Sénateur Dalphond, pour un sénateur indépendant, vous êtes vraiment préoccupé par ce qui se passe à la Chambre des communes. Nous, les conservateurs au Sénat, ne sommes pas très préoccupés par ce qui se fait à l’autre endroit. Nos préoccupations sont nos responsabilités dans cette Chambre, comme sénateurs, et je vous invite à nous rejoindre sur ce principe.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Le sénateur Housakos accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Housakos : Certainement.

L’honorable Krista Ross : J’ai une question au sujet des Canadiens qui sont nés à l’étranger, puis qui déménagent et vivent peut-être au Canada pendant la majeure partie de leur vie, mais qui travaillent peut-être dans le service diplomatique, comme ce fut le cas de certains de nos estimés collègues sénateurs. Les nominations diplomatiques peuvent durer jusqu’à quatre ans. Par conséquent, ils n’auraient pas vécu au Canada pendant 1 095 jours au cours d’une période de trois ans au cours des cinq années précédentes.

Comment des exceptions seraient-elles accordées aux gens qui sont dans ce type de situations? On peut imaginer qu’après un mandat de quatre ans elles pourraient revenir au Canada ou être nommées dans un autre pays. De plus, certaines personnes qui travaillent à l’étranger pourraient avoir vécu la majeure partie de leur vie au Canada, sans toutefois avoir passé les cinq années précédant la naissance de leur enfant à l’étranger.

Le sénateur Housakos : C’est une bonne question, madame la sénatrice. Ce projet de loi peut être déroutant. Il ne s’applique pas du tout au cas que vous avez mentionné. Voici quelques éclaircissements.

Ma femme et moi sommes tous deux citoyens canadiens; nous sommes nés au Canada et nous y avons grandi. Supposons que nous partons vivre à l’autre bout du monde à titre de diplomates ou pour d’autres raisons professionnelles. Si nos enfants naissent à l’étranger pendant cette période, ils deviendront automatiquement citoyens canadiens. La situation n’aura aucune incidence. Dans le cas des diplomates et des fonctionnaires qui travaillent à l’étranger, qui sont eux-mêmes canadiens ou dont le conjoint ou la conjointe est canadien, les enfants deviennent automatiquement citoyens canadiens.

Ce projet de loi s’applique si cet enfant ne rentre jamais au Canada et se marie à l’étranger. Il s’applique aux personnes de la troisième génération qui sont nées à l’étranger et ne sont jamais venues au Canada. Il entrera en jeu, par exemple, si l’enfant des diplomates dont je parlais vit en Thaïlande et qu’il n’a jamais mis les pieds au Canada.

La sénatrice Ross : Je pense que vous avez mal compris ma question. Ce diplomate de carrière est peut-être né à l’étranger. Ses propres parents étaient peut-être aussi diplomates. Vous et votre épouse êtes nés à l’étranger. Vous revenez au Canada et vous y vivez un certain temps, puis vous devenez diplomates et vous avez vos enfants à l’étranger. Vous êtes né à l’étranger, mais vous avez vécu la plus grande partie de votre vie scolaire et professionnelle au Canada. Toutefois, au cours de cette période de quatre ans, vous n’y étiez peut-être pas.

Le sénateur Housakos : Tout d’abord, je crois que la Loi sur l’immigration prévoit des exceptions qui s’appliquent aux diplomates. Comme je l’ai dit, je ne crois pas que votre question s’applique au projet de loi qui nous intéresse.

Le projet de loi concerne les enfants de Canadiens. Ces enfants obtiennent la citoyenneté canadienne, mais pour que cette citoyenneté soit transmise à la troisième génération, il faut que ces personnes aient des liens avec le Canada.

Comme je l’ai dit, pour faire partie du corps diplomatique du Canada et réussir l’examen, il faut être citoyen canadien et habiter ici. Vous parlez du cas d’une personne qui est née, par exemple, en Thaïlande, mais qui n’a jamais vécu au Canada. Or, cette personne, qui a la citoyenneté canadienne, souhaite se joindre au Service extérieur canadien. Je peux vous garantir qu’on ne la laissera pas entrer dans le Service extérieur canadien.

La sénatrice Ross : En fait, ce n’est pas ce que j’ai dit.

Cependant, supposons qu’il ne s’agit pas de diplomates. Supposons qu’il s’agit de personnes qui travaillent pour une entreprise canadienne située en Hollande. Elles sont peut-être nées à l’étranger. Elles ont vécu et fait leurs études au Canada, mais, à l’âge adulte, elles ont déménagé à l’étranger, où elles ont travaillé pendant cinq ans. Le délai de cinq ans est très restrictif.

Le sénateur Housakos : J’ai du mal à comprendre votre question. Même maintenant, j’essaie de répéter vos paroles. Quelqu’un naît ici, grandit ici, part vivre à l’étranger...

Son Honneur la Présidente : Souhaitez-vous obtenir des précisions sur la question, sénateur Housakos?

Le sénateur Housakos : J’adorerais cela.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Ross, pouvez-vous répéter la question, s’il vous plaît?

La sénatrice Ross : Je vais essayer.

Vous avez parlé de vous et de votre femme. Disons que vous êtes né de parents canadiens, mais à l’étranger. Puis, vos parents ont terminé leur service dans l’entreprise pour laquelle ils travaillaient ou le travail qu’ils faisaient. Ils sont revenus au Canada et vous ont ramené avec eux. Vous avez fait vos études ici et avez grandi ici.

Cependant, à l’âge adulte, vous décidez de travailler environ cinq ans pour une entreprise à l’étranger, peut-être même pour une entreprise canadienne. Pendant que vous êtes à l’étranger, vous avez des enfants. Ils sont nés à l’étranger. Même si vous n’êtes pas né ici, vous êtes Canadien et vous avez vécu ici, mais vous n’avez pas nécessairement passé 1 095 jours ici au cours de ces cinq années. Je me demande pourquoi vous voulez limiter cette période à cinq ans, trois ans au cours d’une période de cinq ans.

Le sénateur Housakos : Je reprends votre exemple : si j’avais un enfant à l’étranger et que cet enfant ne revenait jamais au Canada, s’il n’avait aucun lien avec le pays et passait 20 ou 30 ans loin à l’étranger... j’essaie, mais je ne comprends vraiment pas. J’essaie de comprendre, mais je n’y arrive vraiment pas et je ne comprends pas votre raisonnement.

Son Honneur la Présidente : Souhaitez-vous poser une autre question, sénatrice Ross?

La sénatrice Ross : Je vais poser une question, mais ce serait pour que l’un de mes collègues qui comprennent ce que j’essaie de dire l’explique plus clairement au sénateur Housakos. Ma question serait donc la suivante : pourriez-vous vous charger de poser cette question?

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Est-ce pour poser une question ou pour poursuivre le débat?

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : J’interviens dans le débat. Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du bureau du représentant du gouvernement pour m’opposer à l’amendement au projet de loi C-3 proposé par notre collègue.

Je tiens d’abord à remercier la présidente du Comité des affaires sociales, le comité directeur et les autres membres du comité de leur travail. Je tiens à remercier le sénateur Arnot de s’être penché attentivement sur le projet de loi, de l’analyse qu’il a effectuée et du travail qu’il accomplira encore. Je parle au nom du bureau du représentant du gouvernement quand je dis que nous voulons vous aider à faire ce travail.

Je tiens également à remercier la sénatrice Youance d’avoir pris la relève aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants. Vous avez fait un travail fantastique.

Chers collègues, cet amendement ne ferait qu’ajouter des obstacles à l’obtention de la citoyenneté — ce qui, je crois, est l’argument que la sénatrice Ross essayait de faire valoir —, ce qui va à l’encontre de l’objectif même du projet de loi dont nous sommes saisis. En vertu de la Loi sur la citoyenneté, il y a trois façons d’obtenir la citoyenneté canadienne : naître au Canada; être naturalisé en immigrant au Canada; devenir citoyen par filiation, c’est-à-dire naître à l’étranger d’un parent citoyen canadien.

Le projet de loi C-3 modifie la Loi sur la citoyenneté afin d’élargir l’accès à la citoyenneté par filiation au-delà de la première génération. Une fois adopté, le projet de loi C-3 conférerait automatiquement la citoyenneté par filiation à toutes les personnes nées à l’étranger d’un parent canadien avant la date d’entrée en vigueur de la loi.

Pour les personnes nées après la date d’entrée en vigueur, un nouveau cadre régissant la citoyenneté par filiation sera établi. La citoyenneté par filiation ne pourra être transmise au-delà de la première génération que si le parent canadien peut démontrer qu’il a un lien substantiel avec le Canada, c’est-à-dire qu’il a accumulé 1 095 jours de présence physique au Canada.

Le projet de loi C-3 créerait également un processus simplifié pour renoncer à la citoyenneté pour les personnes nées avant son entrée en vigueur qui deviendraient automatiquement citoyennes canadiennes en vertu du projet de loi, mais qui ne souhaitent pas être canadiennes.

Le projet de loi permettrait en outre aux personnes nées à l’étranger et adoptées par un parent citoyen canadien né à l’étranger d’obtenir directement la citoyenneté. Comme dans le cas de la filiation biologique, les parents nés à l’étranger d’un enfant adopté à l’étranger après l’entrée en vigueur du projet de loi devront satisfaire au critère de lien substantiel.

En outre, ce qui est plus important encore, chers collègues, c’est que le projet de loi C-3 donne suite à une décision judiciaire déclarant des dispositions de la loi inconstitutionnelles.

Le 19 décembre 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions clés de 2009 qui limitaient l’accès à la citoyenneté par filiation à la première génération née à l’étranger.

(1650)

Ces dispositions prévoyaient que les enfants nés à l’étranger d’un citoyen canadien au-delà de la première génération n’acquerraient pas automatiquement la citoyenneté canadienne à la naissance. La cour a conclu que la limite de la première génération contrevenait à la liberté de circulation et d’établissement prévue à l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés et au droit à l’égalité prévu à l’article 15. Par conséquent, sans le projet de loi C-3, les Canadiens pourraient transmettre la citoyenneté à leurs enfants à perpétuité, quel que soit leur lien avec le Canada.

Le gouvernement du Canada n’a pas fait appel de la décision de la cour, car il a reconnu que la loi actuelle avait des conséquences inacceptables sur les Canadiens dont les enfants sont nés à l’étranger.

Le projet de loi C-3 vise à établir un équilibre en fixant des limites raisonnables à l’octroi automatique de la citoyenneté par filiation tout en protégeant les droits et privilèges associés à la citoyenneté canadienne. Je cite Lena Metlege Diab, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, alors qu’elle comparaissait devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie :

Le projet de loi C-3 prévoit qu’un enfant né ou adopté à l’étranger par un Canadien ayant un lien substantiel avec le Canada a accès à la citoyenneté, quel que soit le parent qui la transmet ou le lieu de résidence de la famille. Le lien substantiel doit être prouvé par une présence physique au Canada d’au moins 1 095 jours avant la naissance ou l’adoption de l’enfant.

Elle a ajouté en français que le projet de loi C-3 vise à garantir qu’aucune famille canadienne ne soit laissée pour compte en matière de citoyenneté en raison de règles désuètes. Il garantit un traitement équitable, préserve l’égalité et rend hommage aux générations de Canadiens qui ont choisi de vivre à l’étranger tout en conservant leurs racines ici, dans leur pays d’origine.

En effet, chers collègues, le projet de loi C-3 est conçu pour permettre aux parents canadiens qui donnent naissance à l’étranger de transmettre leur citoyenneté à leurs enfants au-delà de la première génération, à condition qu’ils puissent démontrer un lien substantiel avec le Canada, ce lien étant défini comme trois années passées au Canada à n’importe quel moment avant la naissance des enfants. Cette souplesse reconnaît que les Canadiens qui vivent à l’étranger peuvent tout de même maintenir des liens profonds et authentiques avec le Canada, même si le temps qu’ils passent ici s’étale sur différentes périodes de leur vie.

Le critère de 1 095 jours était conforme à d’autres parties de la Loi sur la citoyenneté en ce qui concerne la façon dont une personne pourrait démontrer qu’elle a un lien avec le Canada. Il est conçu pour tenir compte de la façon dont vivent les familles canadiennes aujourd’hui. Cela leur donne la souplesse nécessaire pour vivre leur vie à l’étranger et continuer de maintenir un lien avec le Canada.

Honorables sénateurs, nous parlons de la citoyenneté par filiation — pour ce qui a trait aux enfants nés de parents canadiens à l’étranger — par rapport à la citoyenneté par naturalisation où il est question de ressortissants étrangers qui deviennent des résidents permanents et qui obtiennent la citoyenneté canadienne afin de devenir citoyens canadiens ici, au Canada.

En revanche, selon l’amendement proposé, il faudrait que les 1 095 jours, ou les trois ans, soient concentrés dans une seule période de cinq années consécutives. Les responsables du ministère ont déclaré que de telles restrictions pourraient créer une nouvelle cohorte de Canadiens ayant perdu leur statut de citoyen. Nombre de familles qui vivent à l’étranger reviennent régulièrement au Canada, passent beaucoup de temps avec leurs proches et entretiennent des liens au sein de la collectivité, sans pour autant concentrer les 1 095 jours sur une période de cinq ans. En fait, certaines de ces personnes ont peut-être passé bien plus de trois ans au Canada, mais pas pendant la courte période prescrite par l’amendement. En imposant cette limite, nous risquons d’exclure des parents qui entretiennent clairement des liens étroits avec le Canada et de les empêcher de transmettre par filiation la citoyenneté à leurs enfants.

Les responsables du ministère ont donné l’exemple de familles qui vivent à l’étranger et dont les enfants sont nés à l’extérieur du Canada, mais qui reviennent ici au fil des ans — par exemple pour rendre visite aux grands-parents, aux tantes et aux oncles et pour entretenir les liens avec leur famille ici, au Canada. Ces familles ne passent peut-être pas 1 095 jours au Canada au cours d’une période de cinq années consécutives, mais elles manifestent leur amour pour notre pays à l’étranger. Ces personnes continuent d’être des citoyens canadiens tout en étant des citoyens du monde.

Cela ne tient même pas compte de tous les grands-parents canadiens qui voyagent à l’étranger pour rendre visite à leurs enfants ou à leurs petits-enfants.

La communication et les liens peuvent être maintenus de différentes manières.

En leur imposant cette exigence stricte, vous risquez de les exclure de la citoyenneté par filiation ou de les empêcher de transmettre la citoyenneté à leurs enfants. Cela pourrait créer une nouvelle cohorte de Canadiens dépossédés de leur citoyenneté.

Étant donné qu’il existe deux voies différentes — l’une pour les personnes nées de parents citoyens canadiens, l’autre pour les ressortissants étrangers qui deviennent résidents permanents —, le projet de loi C-3 offre plus de souplesse et permet aux Canadiens vivant à l’étranger de profiter des occasions et du mode de vie qui leur conviennent tout en sachant qu’ils peuvent toujours maintenir un lien avec le Canada.

Le gouvernement estime que le projet de loi C-3, tel qu’il est rédigé, répond à la décision de la cour concernant l’inconstitutionnalité de quelques dispositions de la loi tout en offrant une certaine souplesse. Les Canadiens vivant à l’étranger peuvent maintenir et maintiennent effectivement des liens étroits avec le Canada. En limitant la période utilisée pour déterminer si l’exigence de présence est satisfaite, on fait fi de la réalité à laquelle de nombreux Canadiens sont confrontés et on risque de créer une nouvelle cohorte de Canadiens dépossédés de leur citoyenneté.

Pour ces raisons, le gouvernement n’appuie pas l’amendement proposé.

La citoyenneté canadienne nous procure à tous un profond sentiment d’appartenance envers ce pays diversifié et démocratique que nous considérons comme notre patrie. Je vous invite respectueusement à adopter ce projet de loi tel quel, sans plus tarder, afin d’éviter que des Canadiens soient lésés et de garantir une réponse rapide à une déclaration d’inconstitutionnalité.

Je vous remercie de votre attention, chers collègues.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Trente minutes.

Son Honneur la Présidente : Sommes-nous d’accord pour que la sonnerie retentisse pendant 30 minutes?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Le vote aura lieu à 17 h 27.

Convoquez les sénateurs.

(1720)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Housakos, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Adler Martin
Ataullahjan McPhedran
Batters Miville-Dechêne
Carignan Patterson
Downe Quinn
Housakos Robinson
Lewis Smith
MacDonald Verner
Marshall Wallin—18

CONTRE
Les honorables sénateurs

Al Zaibak McBean
Arnold McNair
Arnot Mohamed
Aucoin Moncion
Boehm Moodie
Boudreau Moreau
Burey Muggli
Cardozo Osler
Clement Oudar
Cormier Pate
Cuzner Petitclerc
Dalphond Petten
Dasko Prosper
Deacon (Nouvelle-Écosse) Pupatello
Deacon (Ontario) Ravalia
Dean Ross
Duncan Saint-Germain
Forest Senior
Gerba Simons
Gignac Sorensen
Greenwood Surette
Harder Tannas
Hay Varone
Hébert Wells (Alberta)
Kingston White
LaBoucane-Benson Wilson
Loffreda Woo
MacAdam Youance—56

ABSTENTION
L’honorable sénateur

Ince—1

(1730)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Youance, au nom de l’honorable sénatrice Coyle, appuyée par l’honorable sénateur Arnot, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025).

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

(À 17 h 34, conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 6 novembre 2025, le Sénat s’ajourne jusqu’à 13 h 30 demain.)

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